1763-08-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Joachim de Pierres, cardinal de Bernis.

Monseigneur,

Ou votre Eminence n'a pas reçu le paquet que je luy envoiai il y a plus d'un mois, ou elle est malade, ou elle ne m'aime plus; et ces alternatives sont fort tristes.
C'est quelque chose qu'un gros paquet de vers ou perdu ou méprisé. Renvoiez moy mes vers je vous en conjure et rendez les meilleurs par vos critiques. Il n'apartient qu'à vous de juger de la poésie. Je viens de lire et de relire vos quatre saisons très mal imprimées. Heureux qui peut passer auprès de vous les quatre saisons dont vous faites une si belle peinture! Je n'ay jamais vu tant de poésie. Il n'y a que nous autres poètes à qui la nature acorde de bien sentir le charme inexprimable de ces descriptions, et de ces sentiments qui leur donnent la vie. C'est Babet qui remplissait son beau panier de cette profusion de fleurs. Que le cardinal ne s'avise pas de les dédaigner. J'aime bien autant votre panier et votre tablier que votre chapau. Cette lecture m'a consolé des romans de finance qu'on imprime tous les jours et des remontrances. Je suis fâché que cette édition soit si incorrecte: il y a des vers oubliez et beaucoup d'estropiez. Oh si vous vouliez donner la dernière main à ce charmant ouvrage! pourquoy non? on ne peut pas dire toujours son bréviaire. Quand vous seriez archevêque, quand vous seriez pape, je vous conjurerais de ne pas négliger un talent si rare. Mais vous ne m'avez rien répondu sur la tragédie de mes rouez. Est ce que les grâces rebutent le pinceau du Caravage? Cela pourait bien être, mais ne rebutez pas le tendre respect du vieux de la montagne.