vendredy au soir [?May 1746]
J'ay usé mon très aimable philosofe de la permission que vous m'avez donnée.
J'ay crayoné un des meilleurs livres que nous ayons en notre langue, après l'avoir relu avec un extrême receuillement. J'y ay admiré de nouveau cette belle âme si sublime, si éloquente et si vraye, cette foule d'idées neuves, ou rendues d'une manière si hardie, si précise, ces coups de pinceau si fiers et si tendres. Il ne tient qu'à vous de séparer cette profusion de diamans de quelques pierres fausses, ou enchâssées d'une manière étrangère à notre langue. Il faut que ce livre soit excellent d'un bout à l'autre. Je vous conjure de faire cet honneur à notre nation et à vous même, et de rendre ce service à l'esprit humain. Je me garde bien d'insister sur mes critiques. Je les soumets à votre raison, à votre goust et j'exclus L'amour propre de notre tribunal. J'ay la plus grande impatience de vous embrasser. Je vous suplie de dire à notre ami Marmontel qu'il m'envoye sur le champ ce qu'il sait bien. Il n'a qu'à L'adresser par la poste chez mr Dargenson, ministre des affaires étrangères, à Versailles. Il faut deux envelopes, la première à moy, la dernière à M. Dargenson.
Adieu belle âme et beau génie.
V.