1760-04-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Élisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian.

Partez vous bientôt, ma chère nièce, pour votre royaume d'Ornoi, et abandonnez vous cette ville de Paris qui n'est bonne que pour messieurs du parlement, les filles de joie, et l'opéra comique?
Etes vous bien lasse de cette malheureuse inutilité dans laquelle on passe sa vie? de ces visites insipides, et du vide qu'on sent dans son âme après avoir passé sa journée à faire des riens et à entendre des sottises? Comptez que vous aurez beaucoup plus de plaisir à gouverner votre Ornoi et à l'embellir, qu'à courir après les fantômes de Paris. Tout ce que j'apprends de ce pays là fait aimer la retraite.

Mandez moi, je vous prie, les extravagances qui se débitent sur les choses dont je vous ai parlé. Je vous jure que ce n'est pas simple curiosité. Le pauvre plaisir de savoir ce qu'on dit ne me touche guère; mais je m'intéresse vivement aux personnes dont on parle, et cela pour des raisons très essentielles.

Luc m'écrit toujours, mais il ne m'écrit que pour me montrer qu'il a de l'esprit, et pour me dire qu'il ne craint rien. Il prétend que nous n'aurons jamais ni honneur ni profit dans la belle guerre que nous faisons. J'ai grand’ peur qu'il n'ait raison. J'embrasse tendrement mr de Florian et mr votre fils &a.