1757-07-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Philippe Antoine de Claris, marquis de Florian.

Ma chère nièce, mille amitiés à vous et aux vôtres.
Que faites vous à présent? Il y a un an que vous étiez bien malade à mes Délices, mais il paraît aujourd'hui que vous vous passez à merveille du docteur. Etes vous à Paris? êtes vous à la campagne? allez vous à Ornoi? vous amusez vous avec le philosophe du grand conseil? votre fils n'a-t-il pas déjà six pieds de haut? Mettez moi au fait, je vous en prie, de votre petit royaume. Quant à celui de France, il me paraît qu'il fait grand’ chère et beau feu. Il jette l'argent par les fenêtres; il emprunte à droite et à gauche, à sept, à huit pour cent; il arme sur terre et sur mer: tant de magnificence rend nos normands de Genève circonspects; ils ne veulent pas prêter à de si grands seigneurs; et ils disent que le dernier emprunt de quarante millions n'étrenne pas.

Pour vous monsieur le grand écuyer de Cirus, je crois que vous avez montré la curiosité, la rareté de la tactique assyrienne et persane à un moderne qui se moque quelquefois du temps présent et du temps passé. Je m'imagine qu'à présent on croit n'avoir pas besoin de machines pour achever la ruine de Luc. Mais quand j'écrivis au héros de Mahon qu'il fallait qu'il vît notre char d'Assirie, on avait alors besoin de tout. Les choses ont changé du 6 juin au 18; et on croit tout gagné parce qu'on a repoussé Luc à la septième attaque. Les choses peuvent encore éprouver un nouveau changement dans huit jours, et alors le char paraîtra nécessaire. Mais jamais aucun général n'osera s'en servir de peur du ridicule en cas de mauvais succès. Il faudrait un homme absolu qui ne craignît point les ridicules, qui fût un peu machiniste, et qui aimât l'histoire ancienne. Mandez moi, je vous prie, quelque chose de l'histoire moderne de vos amusements. Je vous embrasse tous de tout mon cœur. Valete.