[June 1757]
Votre idée, ma chère nièce, de faire peindre de belles nudités d'après Natoire et Boucher pour ragaillardir ma vieillesse est d'une âme compatissante, et je suis reconnaissant de cette belle invention.
On peut aisément en effet faire copier à peu de frais; on peut aussi faire copier au palais royal ce qu'on trouvera de plus beau et de plus immodeste. M. le duc d'Orléans accorde cette liberté. On peut prendre deux copistes au lieu d'un. Si par hasard quelque brocanteur de vos amis avait deux tableaux, je vous prierais de les prendre, ce serait autant d'assuré. Quand ces tableaux feraient 5 pieds, il ne m'importe. Deux d'une dimension, et deux d'une autre feront encore mon affaire. Des tableaux de 3 pieds à 3 pieds 1/2, sur 4 à 4 pieds 1/2 de haut, sont ce qu'il me faut. Je ne vous gêne en rien. Vous avez du temps, et je vous serai très obligé. Je m'en rapporte absolument à vos bontés.
Vous ornerez ma maison du Chène comme vous avez orné celle des Délices. La maison du Chène est plus grande, plus régulière, elle a même un plus bel aspect. Mais c'est le palais d'hiver; c'est pour le temps de nos spectacles. Les Délices sont pour le temps des fleurs et des fruits. Ce n'est pas mal partager sa vie pour un malingre. M. Tronchin dit que vous êtes fort contente de votre santé, et se vante toujours de la mienne: mais c'est une gasconnade.
Votre sœur est actuellement tout occupée des meubles pour la maison du Chène. Elle insiste beaucoup sur une boule de lustre qu'elle prétend vous avoir demandée. Elle sera occupée en hiver de ses habits de théâtre. Nous espérons que vous viendrez voir encore nos douces retraites: elles valent bien la vie de Paris, quand on a passé le temps des illusions; et en vérité Paris n'a jamais été mois regrettable qu'aujourd'hui.
Je suis toujours en peine des succès du char assyrien. Il y a certaines plaines dans le monde où il ferait un effet merveilleux. Je m'y intéresse plus qu'à Fanime.
Si vous voulez vous amuser conduisez cette Fanime avec le fidèle d'Argental. Encore une fois tout ce que je souhaite, c'est que mademoiselle Clairon soit aussi touchante dans ce rôle que l'a été made Denis. Si la pièce est bien jouée, elle pourra amuser votre Paris tout autant que l'histoire de mr Damiens que le parlement va donner au public en trois volumes in-4.. Vous ferez comme il vous plaira avec le Kain et Clairon pour l'impression, si on imprime cette élégie amoureuse en dialogues; car après tout Fanime n'est que cela: mais de l'amour est quelque chose.
Il y a donc un Pagnon de moins sur le globe. Ces gros petits crapoussins là s'imaginent qu'il n'y a qu'à boire et manger: ils crèvent comme des mouches, et nous maigrelets nous vivons.
Vivez, aimez moi. Mille compliments à frère, à fils, au conducteur du char d'Assirie.