1757-09-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Élisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian.

Vous voilà donc campagnarde, ma chère nièce; si j'avais imaginé que vous dussiez tant aimer Ornoi, j'aurais moins aimé les Délices et Lausanne.
Je vous avoue que j'aurais eu plus de plaisir à bâtir une aile chez vous qu'à embellir des maisons suisses. J'ai été chercher bien loin une retraite. Je l'aurais trouvée avec vous. Mais avec votre permission vous n'êtes pas encore assez philosophe pour renoncer comme moi à Paris.

Vous devez à présent être loin de toutes les nouvelles. Cependant la renommée qui va partout doit être venue vous dire à Ornoi avec quelle promptitude le maréchal de Richelieu a imposé la loi au fier duc de Cumberland. Il n'a plus d'ennemis dans Hanovre, dans la Hesse, dans la Thuringe. Vous ne vous souciez guère de savoir où sont tous ces pays là; mais vous vous souciez de savoir que les Français marchent à Luc, pressé et battu d'ailleurs de tous côtés.

Luc m'écrivait l'autre jour qu'il ne lui restait plus qu'à vendre cher sa vie. Eussiez vous imaginé il y a trois ans que je serais occupé à le consoler? cette révolution est un grand exemple, et doit affermir dans la philosophie. Je m'affermis encore davantage dans mon amitié et dans mon estime pour vous. J'embrasse de tout mon cœur le mineur et le grand écuyer qui est devenu grand veneur. Conservez votre santé, ce grand bien dont vous devez connaître le prix. Les deux Suisses oncle et nièce sont à vous.