Le 21 mars [1770]
Vraiment le grand écuyer de Cyrus est devenu un excellent ambassadeur.
Je le remercie très tendrement des livres qu'il veut bien me faire avoir et que probablement je recevrai bientôt.
J'accable aujourd'hui toute ma famille de requêtes. Je recommande à m. d'Ornoi l'infortune d'un pauvre diable qui se trouve vexé par des fripons. J'ennuie le Turc du compte que je lui rends d'un mauvais chrétien. J'envoie un petit sommaire du désastre d'un beaufrère de Fréron, qui pourra vous paraître extraordinaire. Mais je m'addresse à vous, monsieur, pour l'objet le plus intéressant.
M. l'abbé Terrai me saisit tout le bien libre que j'avais en rescriptions, les seuls effets dont je pusse disposer, mon unique bien, tout le reste périssant avec moi. Il est un peu dur de se voir ainsi dépouillé à l'âge de soixante-seize ans, et de ne pouvoir aller mourir dans un pays chaud, s'il m'en prend fantaisie.
J'ai quelque curiosité de savoir comment on débrouillera le chaos où nous sommes. Vous me paraissez d'ordinaire assez bien instruit. Voici le temps des grandes nouvelles. Les Russes pourront être à Constantinople dans six mois, et les Français à l'hôpital.
La petite ville de Genêve est toujours sous les armes, et les émigrants sont à Versoy sous des planches. J'en ai logé quelques uns à Ferney. On aligne les rues de Versoy; mais il est plus aisé d'aligner que de bâtir, et s'il arrivait malheur à M. le duc de Choiseul, adieu la nouvelle ville.
Voici bientôt le temps où vous irez je pense embellir Ornoi, mais il faut auparavant que made de Florian affermisse sa santé.
Je vous embrasse tous deux du meilleur de mon coeur avec la plus vive tendresse.