1770-04-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Philippe Antoine de Claris, marquis de Florian.

Mon cher grand écuyer, il faut que frère François mette tout au pied de son crucifix.
Les livres qui font ma consolation, ne me viennent point. Il faut qu l'abbé Terrai ait arrêté les guimbardes sur la route avec les rescriptions. Il m'a pris tout mon bien de patrimoine, et fort au delà. Non seulement il me traite en capucin, mais il me traite en évêque. Il veut que je meure banqueroutier comme la plupart de nosseigneurs. Le bon dieu soit loué! La fin de la vie est triste, le milieu n'en vaut rien, et le commencement est ridicule.

M. de Laleu a trop d'affaires pour m'avoir jamais entendu. Je lui ai toujours dit que le plaisir que me faisait m. de Laborde était de m'épargner sept à huit pour cent, pour le change, et pour la conversion de l'argent de Genêve en argent de France.

Au reste je trouve très bon qu'on prenne les rescriptions des financiers qui ont gagné beaucoup en pillant l'état, mais je trouve très mauvais qu'on prenne le patrimoine des particuliers et qu'on ruine des familles innocentes. Vous vous en sentirez comme moi, messieurs; je vous exhorte à entrer comme moi dans l'ordre des capucins.

Je remercie bien le conseiller du parlement de la bonté qu'il a pour l'affaire de mon benêt de franc-comtois. Je le prie de vouloir bien me mander combien cela aura coûté de frais. J'enverrai sur le champ une lettre de change en dépit de m. l'abbé Terrai.

Si j'avais des rescriptions sur le grand Turc, l'impératrice de Russie me les ferait bien payer. Je crois vous avoir dit qu'elle m'a mandé qu'elle ne manquerait ni d'hommes ni d'argent. Tout le monde n'en peut pas dire autant.

Genève se dépeuple, mais le contrôleur général de France leur paye toujours quatre millions cinq cent mille livres de rente. Pourquoi ne pas perdre cet argent, au lieu du nôtre?

Allez au plus vite jouir des douceurs de la campagne avec made de Florian. Nous sommes enchantés d'apprendre que sa santé s'est rétablie.

Nous vous embrassons vous et elle, et le grand conseil, et le parlement.

fr. François