1774-06-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, l'esprit est prompt, et la chair est faible.
Si je pouvais mettre un pied devant l'autre vous croyez bien que mes deux pieds seraient chez vous. Je vous aurais même apporté quelques fruits de ma retraite; car je suis de ces vieux arbres près de périr par le tronc, et qui ont encore quelques branches fécondes. C'est une destinée bien funeste que je puisse et que je ne puisse pas vous venir voir; mais j'espère encore, malgré mes quatre vingts ans et toutes mes misères. Il est vrai que je suis un peu sourd, un peu aveugle, un peu impotent; le tout est surmonté de trois à quatre infirmités abominables; mais rien ne m'ôte l'espérance. Ce fond de la boîte de Pandore me reste. Je ne sais si la Borde conserve encore ce trésor. Il se flattait de faire jouer sa Pandore lorsqu'il a été écrasé par Gluk, et par la mort de son protecteur.

Vous avez mon cher ange l'espérance la plus juste de vivre longtemps, très honoré et très heureux avec mad. Dargental, et vous n'avez aucun des maux qui sont sortis de la boîte. Votre lot est un des plus heureux, votre félicité me sert de consolation.

J'écris à papillon-philosophe qui est un phénix en amitié. Je me mets aux pieds de mad. D'Argental. Je ne doute pas que vous ne voyez souvent m. le duc de Praslin, et comme je le crois plus juste que son cousin, je vous supplie de vouloir bien dans l'occasion lui parler de mon attachement inviolable.

V.