1769-07-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, j'ai à vous entretenir de la plus grande affaire de l'Europe; il s'agit de la musique de Pandore.
Tous les maux qui étaient dans la boîte affligent l'univers et moi; et je n'ai pas l'espérance qu'on exécute la musique de la Borde. Est ce que made la duchesse de Villeroi ne pourrait pas nous rendre cette espérance que nous avons perdue, et qui était encore au fond de cette maudite boîte?

J'aime bien les Guêbres, mais j'aimerais encore mieux que Pandore réussît à la cour, supposé qu'il y en ait une. En vérité voilà une négociation que vous devriez entreprendre. On veut du Lully; c'est se moquer d'une princesse autrichienne élevée dans l'amour de la musique italienne et de l'allemande; il ne faut pas la faire bâiller pour sa bienvenue. On me dira peut-être que la Borde la ferait bâiller bien davantage; non je ne le crois pas; sa musique m'a paru charmante, et le spectacle serait magnifique.

On me dira encore qu'on ne veut point tant de magnificence, qu'on ira à l'épargne; et moi je dis qu'on dépensera autant avec Lully qu'avec la Borde, et que mrs des menus n'épargnent jamais les frais. Mais où est le temps où on aurait joué les Guèbres? Le Tartuffe, qui assurément est plus hardi, fut représenté dans une des fêtes de Louis 14. O temps! ô mœurs! ô France! je ne vous reconnais plus.

Mes anges, je suis un réprouvé, je ne réussis en rien. J'avais entamé une petite négociation avec le pape pour une perruque, et je vois que j'échouerai, mais je n'aurai pas la tête assez chaude pour me fâcher.

Portez vous bien mes anges, et je me consolerai de tout. Je vous répéterai toujours que je voudrais bien vous revoir un petit moment avant d'aller recevoir la couronne de gloire que dieu doit à ma piété dans son saint paradis.