Au château de Prangin, pays de Vaud, [c. 9 January 1755]
Vous voyez, monsieur, que tous les maux sont sortis pour moi de la boîte de Pandore avec les doubles croches de mr Royer.
Il ne savait pas seulement que Pandore fût imprimée, et il fit faire il y a un an des canevas par mr de Sireuil, son ami, qui crut que j'étais mort, comme les gazettes l'avaient annoncé. Royer, ne pouvant me tuer, a tué un de mes enfants, je souhaite que le sien vive. Il m'écrivit il y a trois mois que son opéra était gravé. Il le sera sans doute dans la mémoire, mais il ne l'était pas encore en papier; je fis les plus humbles remontrances; je n'ai rien obtenu. On me regarde comme mort, on vend mon bien, et on le dénature. Mr de Sireuil m'a écrit, il me paraît un homme sage et modeste, très fâché de la peine qu'on l'a engagé à prendre et à me faire. Je ne crois pas qu'il soit possible d'empêcher cette nouvelle tribulation, qu'il faut bien que j'essuie. Je n'ai pas même l'espérance qu'on disait être au fond de la boîte. C'est un nouveau malheur, et qui pis est un malheur ridicule. Vous m'offrez généreusement votre secours, vous voulez qu'un mr de la Salle, sous vos ordres, remédie autant qu'il pourra à cette déconvenue. J'accepte vos bontés, il faudrait que tout se passât sans choquer personne, il faut craindre un ridicule de plus. Royer dit qu'il ne veut rien changer à sa musique. Il a obtenu une approbation pour faire imprimer le poème sous le nom de Fragment de Prométhée, avec les changements et les additions que mr
Royer a cru propres à sa musique. C'est à peu près ce que porte le titre.
Voilà où en est cette aventure. Si dans de telles circonstances vous croyez que je puisse être reçu à me mêler de mon ouvrage et que ma procuration à m. de la Salle soit valable, je suis prêt à vous l'envoyer signée d'un notaire suisse et légalisée par un bailli.
Adieu, monsieur, je vous remercie bien tendrement. Je suis très malade. made Denis, qui a eu le courage de me suivre et d'être ma garde, vous fait ses plus sincères compliments. Vous savez par combien de titres je vous suis attaché. Permettez moi de présenter mes respects à made votre mère.
V.