1754-10-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Jean François Hénault.

J'apprends, Monsieur, que vous avez été quelque temps comme je suis toujours.
On me mande que vous avez été très-malade. Soïez bien persuadé que personne ne prend plus d'intérêt que moi à vôtre santé. Si vous étes actuellement, comme je m'en flatte, dans vôtre convalescence, permettez que je vous demande vôtre protéction auprès de Royer, et pour Royer. Il a fait précisément de La tragédie de Pandore ce que Néaulme a fait de L'Histoire universelle. On me vole mon bien de tous côtés, et on le dénature pour le vendre.

Si j'en crois tout ce qu'on m'écrit, le plus grand service qu'on puisse rendre à Royer est de L'empêcher de donner cet Opera. On assûre que La musique est aussi mauvaise que son procédé. Je vous demande en grâce de L'envoïer chercher, et de vouloir bien lui représenter ce qui est de son intérest, et de son honneur. Mr de Moncrif m'a envoïé La pièce telle qu'on La veut jouer, et telle que Mr Royer L'a fait refaire par un nommé Mr Sireuil, ancien Portemanteau du Roi. Cette bigarrure serait L'opprobre de La littérature et de la Nation. Vous faites trop d'honneur aux Lettres, Monsieur, pour souffrir cette indignité, si vous avez le crédit de l'empêcher. J'ai écrit une lettre de politesse à Royer avant de savoir de quoi il était question; mais à présent que je suis au fait, je suis bien Loin de consentir à son déshonneur, et au mien. Si on ne peut réussir à supprimer cet Opera, ne pourait-on pas au moins engager Royer à différer d'une année? et si on ne peut différer cet opprobre, je demande à Mr le Comte d'Argenson qu'on ne débite point l'ouvrage à L'Opéra sans y mettre un tître convénable, et qui soit dans la plus exacte vérité. Voici le tître que je propose: Promethée. Fragment de la Tragédie de Pandore déjà imprimée à La quelle le musicien a fait substituer et ajouter ce qu'il a crû convenable au théâtre lirique pendant L'éloignement de L'auteur.

Je vous demande bien pardon, Monsieur, de vous entretenir de ces bagatelles; mais les bontés dont vous m'honorez, me servent d'excuse. Je vous supplie de compter sur les sentimens d'estime, de tendresse, et de reconnaissance qui m'attachent à vous.

Je n'écris point à made du Défant, et j'en suis bien fâché; mais les maladies continuelles qui m'accablent, m'interdisent tous les plaisirs.