1754-08-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Augustin Paradis de Moncrif.

J'aprends, monsieur, que Mr Royer va donner au Public son Opéra de Prométhée; j'en suis très-aise pour lui, et très-fâché pour moi, attendu que j'ai le malheur d'être l'auteur des paroles, qu'on a même imprimées dans le recueil de mes rêveries.
Je n'entends rien du tout à un Opera. Les ariettes que j'ai fourrées dans cet ouvrage, ne sont guères faites pour être luës, encor moins pour être chantées. La distribution des scènes n'est pas même convénable à ce genre de spectacle, genre dont vous connaissez mieux qu'un autre les difficultés et le prix par les succès que vous y avez eûs.

On dit que Mr Royer a remédié à ce défaut en faisant travailler un homme plus au fait que moi, et plus capable de le seconder. Il serait juste de ne point dérober à cet auteur la gloire qu'il mérite, et d'instruire le Public, dans l'imprimé, de la part qu'il a bien voulu avoir à cet ouvrage. Comme vous étes, Monsieur, l'examinateur des paroles, je vous suplie de vouloir bien faire rendre ce petit service au compagnon de Mr Royer et à moi. Je voudrais de tout mon cœur qu'il eût tout fait, mais au moins il faut lui laisser sa part. Je vous souhaite les années de Titon, à condition que vous ne les perdrez pas si vîte que lui. Les miennes sont perdues, et ce n'est pas à un jeu si plaisant. Je suis si malade que je ne peux vous écrire de ma main. Adieu, mon cher confrère, je suis de tout mon cœur vôtre très-humble et très-obéïssant serviteur

Voltaire