Du 13 octobre [1754]
Malgré l'état douloureux où mes maladies me réduisent, monsieur, je me hâte de répondre avec la plus vive sensibilité aux politesses dont vous m'honorez.
Je n'ai point reçu la copie de l'opéra de Pandore, auquel vous avez bien voulu travailler. M. de Moncrif me l'aurait fait aisément tenir sous l'enveloppe de m. d'Argenson, si on la lui avait laissée entre les mains. Je ne doute pas de la beauté de la musique de m. Royer, et votre prose me persuade de plus en plus que vous l'aurez très bien servi par vos vers dans tous les canevas et dans la coupure des scènes, où il faut que le poète et le musicien soient d'intelligence. Il n'y a, monsieur, que ce qui est de moi dans cet ouvrage qui me donne de justes sujets de craintes: elles sont d'autant mieux fondées que, suivant tout ce que j'apprends, m. Royer n'a pas choisi la meilleure leçon de mon poème. On me mande, par exemple, qu'il n'a point mis en musique la première scène de Prométhée:
Il n'a point non plus mis en œuvre ces vers que Prométhée dit à Pandore en lui apportant le feu du ciel:
Il est triste que l'ouvrage soit depuis longtemps imprimé d'une façon et soit représenté d'une autre. J'ignore, monsieur, si les éditions où se trouve ce petit ouvrage sont parvenues jusqu'à vous; m. Royer ne les connaissait pas, mais il aurait pu choisir, entre les différentes copies qu'il avait du poème, la moins défectueuse. Il aurait sûrement embelli les morceaux que je viens de vous citer, et tous ceux qui sont dans le même goût. Je vous assure, monsieur, que je ne suis rassuré que par le soin que vous avez pris pendant mon absence de vous prêter au génie du musicien et de servir à la fois son goût et celui d'un spectacle qui est pour moi très étranger. Nous vous devons, lui et moi, des remerciements. Mais vous savez quel danger on court toujours en se livrant au public, et combien la malignité des hommes aime à profiter de l'occasion. M. Royer n'est peut-être pas sans envieux, et vous savez que je ne manque pas d'ennemis, c'est l'état du métier. Je crois donc qu'il est nécessaire d'intituler l'imprimé qu'on débitera à l'Opéra Prométhée, ou Pandore, ouvrage dramatique tiré des fragments de la pièce de m. de Voltaire à laquelle on a ajouté pendant son absence les ariettes et les vers convenables au théâtre lyrique.
Ce titre sera dans l'exacte vérité, puisqu'on ne donne en effet que des fragments de mon ouvrage, et préviendra toutes les critiques en faisant sentir l'obligation que l'on a à celui qui a donné à ce poème la forme exigée par l'opéra. J'ai écrità m. de Moncrif en conformité. Je me flatte que vous voudrez bien, monsieur, vous prêter à cet arrangement. Ce sera une nouvelle obligation que je vous aurai. Permettez que je vous aie encore celle de faire passer à m. Royer les sentiments d'estime que j'ai pour lui, et le sincère intérêt que je prends à son travail et à sa gloire. Recevez encore une fois les assurances de ces mêmes sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être, monsieur, etc.