1754-10-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Augustin Paradis de Moncrif.

Je vous remercie tendrement, mon cher confrère, de la compassion que vous témoignez pour les mutilés.
Je le suis en prose et en vers, en histoire universelle, en opéra; on partage mes dépouilles de tous côtés, et on dénature mon bien pour le vendre. Je sens bien que Mr. Royer doit jouïr du fruit de son travail. On rendra justice à sa belle musique. Les paroles importent peu aux grands musiciens. Plus elles sont mauvaises, plus ils ont de mérite. Il ne s'agit donc plus que de savoir à quel point précisément j'ai servi un bon musicien par de mauvais vers. Je vous envoïe si vous le trouvez bon mon ouvrage tel que je l'ai fait; cette toile est absolument différente de celle que Mr. Royer a embellie de ses couleurs. On ne met au théâtre que des fragments de cette pièce, laquelle n'est pas en éffet propre au théâtre. Ainsi il me paraitrait convenable que le tître portât, Promethée où Pandore, ouvrage dramatique tiré des fragments de la pièce qui porte ce nom, à laquelle on a fait ajouter les ariettes et les vers convenables au musicien dans l'absense de l'autheur.

Je ne doute pas que vôtre esprit de conciliation, joint au droit que vous avez comme éxaminateur, ne fasse appliquer ce petit emplâtre à une de mes blessures. Il est juste qu'on sache au moins que l'ouvrage donné sous mon nom, n'est pas le mien. Ce que je ne désavouerai jamais c'est la reconnaissance que je vous dois. Madame Denis vous fait ses compliments et joint ses remerciments aux miens. Adieu, mon cher et aimable confrère, je vous souhaitte une santé meilleure que la mienne. Je ne suis pas en état d'écrire de ma main, mais l'affaiblissement du corps n'ôte rien à la sensibilité que vos bontez m'inspirent.

V.