à Roüen ce vendredi [20 9^bre 1733]

Vous avés dû Recevoir mon cher ami une Lettre de moy qui s'est croisée avec la vôtre.
J'ay Reçu Adelaide de m^r Dubocage à qui je L'ay Rendue sur Le champ pour qu'il La Renvoyât à qui l'a fait. J'ay Lu cette pièce Rapidement, elle m'a fait extrêmement pleurer mais vous savés que je suis un grand Larmoyeur. Aureste au premier coup d'œil elle m'a paru très simple, chargée de peu d'événemens qui s'amènent, aumoins Les essentiels, fort naturellement, et Le dénouement est fort intéressant. Voilà Le Beau. Voici à ce que je croy Ce qui sera critiqué. Couci dans Les Premiers actes fait un épisode inutile, sa déclaration et La jalousie que Vendome Conçoit à son sujet n'influent point dans Le Reste de La pièce. D'ailleurs il y a dans ces premiers actes plusieurs choses qui pouroient être conduites plus adroitement. Nemours blessé que son frère ne reconoit'pas d'abord est une chose hors de vray semblance. Pour Le stile Les premiers actes sont écrits trop poétiquement et Les derniers trop foiblement.

Je n'ay point encor d'avis de ses exemplaires de Charles 12.

J'ay Reçu une Lettre de Linant qui travaille de toutes ses forces à sa tragédie. Il me marque que Boissi done aux François une petite comédie nommée Le Badinage qui à L'ordinaire de Boissi n'est point une pièce mais où il y a de jolies choses. Il me mande aussi que Les Comédiens françois ont Reçu pour Le moins 15 pièces tant tragédies que Comédies. L'ambitieux de Destouchesira après Adelaide. Notre ami fait un nouvel opéra intitulé Sansom pour Rameau pour Lequel il s'est Rengoué après avoir été si dégoûté. L'opéra de Rameau a Beaucoup Repris faveur et comme ce qui plait dans son opéra sont Les [? duo,] trio, Cheurs, airs de caractèere &ct, il ne mettra dans son opéra que très peu de Récitatif, et tâchera de ménager au musicien Les occasions d'exercer La sorte de talent qu'il a. Il a fait encor Le plan d'une nouvelle tragédie fort singulière dit Linant et de plus il songe toujours à son histoire de Louis 14. Voilà bien de La Besogne en même temps pour être Bien faite.

Je ne seray jamais trop étoné qu'un pensionaire de V. se brouille avec Luy mais je crains bien que Liannt n'y done Lieu. Je ne sçay s'il n'a pas La fierté qu'ont toujours Les gens d'esprit qui sont pauvres et qui manquent d'une Certaine supériorité de Raison. Il y a aussi peu de gens qui sachent Recevoir des Bienfaits que de gens qui en sachent faire. J'écris à Linant et sans Rien dire de particulier et sans paroître savoir Rien je Luy done sur cela quelques avis généraux. Il n'y a Rien de nouveau. Adieu et Revenés.