1732-12-31, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].

Je suis si accablé depuis quelques jours de la fièvre et d'une inflammation de gorge que je n'ay pu encor vous remercier de la nouveauté charmante dont vous m'avés régalé.
La lecture de tant de jolis vers a opéré presque sur le champ ma guérison.

Ouy La Discordante furie
Qui de l'unisson ennemie
Troubloit les acords de mon poux
S'enfuit à la seule harmonie
De vos vers élégans et doux.
Amy vostre Lyre divine
Chasse la fièvre et le frisson
Et vous prouvés qu'Apollon
Est le dieu de la médecine.

Mais mon très cher amy pourquoy donc ne m'avés vous point envoyé vostre temple de l'amitié? Je ne l'ay point et qui en ce monde a des droits plus incontestables que moy sur cet ouvrage?

Quoy vous avés Edifié
Un vaste Temple à l'Amitié
Quand la plus petite chapelle
Pour un culte si décrié
Seroit trop grande de moitié!
Et vous avés net oublié
D'envoyer le plan fidèle
A l'amy qui fut le modèle
Sur qui vous l'aurés copié?

J'ay trouvé vostre temple du goust charmant. Mon dieu que vous avés bien tous les tons et que vous écrivés élégamment! Vous joignés à la facilité des Chapelles et des Chaulieux plus de tour et d'exactitude. Dans les plus petites choses on trouve chés vous disjecti membra Poetæ.

Vostre main étoit nécessaire
Pour bastir le Temple du goust,
Dans ses détails et dans son tout
Il est selon vostre manière
Bien pris de l'un à l'autre bout.
Reste pourtant un rien à faire
Et l'employ m'en sera bien doux,
C'est d'en ouvrir le sanctuaire
Et de montrer au yeux de tous
Que le vray dieu qu'on y révère
Est souvent au milieu de nous
Sous vos traits aimable Voltaire.