1767-04-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Monsieur le marquis de Maugiron vient de mourir.
Voicy les vers qu'il a fait une heure avant sa mort:

Tout meurt, je m'en aperçois bien.
Tronchin tant fêté dans le monde,
Ne saurait prolonger mes jours d'une seconde,
Ni Daumat en retrancher rien.
Voicy donc mon heure dernière.
Venés bergères et bergers,
Venés me fermer la paupière,
Qu'au murmure de vos baisers,
Tout doucement mon âme soit éteinte.
Finir ainsy dans les bras de l'amour,
C'est du trépas ne point sentir l'atteinte;
C'est s'endormir sur la fin d'un beau jour.

Vous remarquerés qu'il logeait chez l'Evêque de Valence son parent. Tout le clergé s'empressait à lui venir donner son passeport avec la plus grande cérémonie. Pendant qu'on faisait les préparatifs il se tourna vers son médecin, il lui dit, Je vais bien les attraper, ils croyent me tenir et je m'en vais. Il était mort en effet quand ils arrivèrent avec leur goupillon. Vous pourés, mon ancien ami, régaler de cet anecdote certain génie à qui vous écrivés quelquefois des nouvelles. Cela sera d'autant mieux placé qu'il serait homme en pareil cas à imiter Monsr de Maugiron et même à faire de meilleurs vers que lui.

Vous avés dû voir la lettre de Monsieur Monduit sur Bélisaire. Cela peut encore amuser un philosophe.

Continuez de vivre de régime afin de vivre Longtemps. On me parle dans plusieurs lettres de Monsieur L'Evêque de St Brieu et de son avanture qu'on me dit fort plaisante. On supose que je sais cette avanture et je n'en sais rien du tout. Je suis bien aise d'ailleurs qu'un Evêque amuse le monde, cela vaut mieux que de l'excomunier.

Ah on vient de me conter l'avanture! Voilà une maîtresse femme. Valé.

V.