à Ferney 6 février 1768
J'allais vous écrire, Monsieur, lorsque Mr Du Puits, mon cher gendre adoptif, m'aporte le beau présent dont vous m'honorez.
Je dis toujours, qu'il vive autant que sa gloire.
Comme je travaille à une nouvelle édition du Siècle de Louïs 14 j'ai été obligé d'éxaminer d'assez près l'ordre chronologique des ministres. Je trouve que le maréchal Duc De Lamailleraie fut surintendant des finances en 1648 pendant l'éxil de Particelli dit Emeri, que vôtre imprimeur a ortographié Perticelli.
Voiez si je me trompe, et si vous avez le temps encor de donner un carton.
Voiez encor si dans la même page 575 vous ne pouriez pas placer Abel Servien surintendant conjointement avec Fouquet.
Il me parait aussi absolument nécessaire de ne pas omettre que Le Marquis De La Vieuville fur créé surintendant et Duc et Pair en 1651. Je pense qu'en serrant un peu vous pouriez aisément réformer ces bagatelles. Il ne s'agirait que d'un seul feuillet.
Je ne prendrais pas la liberté de vous faire cette prière à l'occasion d'un autre règne que celui de Louïs 14, mais ce règne est si beau et si grand en tout genre, il est tellement devenu l'époque de la gloire de la nation par la foule des grands hommes qui l'ont illustré, qu'on ne peut ce me semble négliger aucun des hommes qui ont eu part à l'administration. Le Maréchal De Lamailleraie d'ailleurs était un homme dans le goût du Duc De Sully, un peu brutal, mais vrai, juste, œconome. Il lui manqua un Henri 4. Il n'avait qu'un Mazarin.
Vôtre ouvrage sera un des beaux monuments de ce grand siècle, car vous êtes né sous Louïs 14. On vous continuera un jour, on vous imitera, mais on ne vous ressemblera pas.
Il y a plus de six mois que je n'ai écrit à Made Du Deffant, mais je n'ai pas un moment à moi. Les maladies et les travaux m'accablent. Ce n'est point vous qui avez quatrevingt ans, c'est moi. Mais j'aime encor les belles Lettres comme si je n'en avais que vingt cinq. Elles font le charme des derniers jours de ma vie. Je présente toujours requête à la nature pour qu'elle prolonge vos jours, qu'elle adoucisse l'état de Made Du Deffant, et qu'elle la dédommage s'il se peut de ce qu'elle lui a ôté. Mon gendre me donne dans l'instant une Lettre d'elle. La Poste va partir. Je ne lui écrirai que Lundy, mais je lui serai tendrement attaché comme à vous jusqu'au dernier moment de ma vie.
V.