1754-07-15, de [unknown] à Le Mercure de France.

On lit, monsieur, dans les anecdotes de m. de Voltaire sur le siècle de Louis XIV, que m.
Gourville assure dans ses mémoires que m. Fouquet sortit de prison quelque temps avant sa mort; que la comtesse de Vaux, belle-fille de ce surintendant des finances, avait déjà confirmé ce fait à m. de Voltaire même: ainsi, dit il, on ne sait pas où est mort cet infortuné, dont les moindres actions avaient de l'éclat quand il était puissant.

On serait quasi porté à croire que cet illustre infortuné est mort dans la capitale des Cevennes: si on n'a point de preuves évidentes de cela, du moins les doutes qu'on en a paraissent assez bien fondés; & voici d'abord, monsieur, sur quoi on les établit. Il parut ici en 1682 un homme singulier d'une très belle figure, qui pour mieux cacher son état, prit l'habit d'ermite: le bruit était commun alors que c'était un illustre personnage retiré de la cour. Effectivement il était généralement estimé de tout le monde; l'évêque surtout qui l'admettait à sa table, en faisait un cas particulier, & semblait respecter dans lui une haute naissance.

Ce prétendu ermite s'adonnait beaucoup à la chimie, & distribuait des remèdes gratis à tous les pauvres. Quoiqu'il ne fît pas la quête & qu'il l'abhorrât, on remarquait qu'il ne lui manquait jamais rien, & qu'il avait toujours de l'argent; il portait sous sa tunique grossière du linge d'une finesse extrême; il parlait & se plaisait à entendre parler de la cour; il avoua même à quelques amis, à qui il s'ouvrait, qu'il avait eu l'honneur de manger avec le roi [Louis XIV.] Mais voici un fait qui pourrait passer pour une preuve de ce qu'on avance. Deux ou trois jours avant sa mort, qui fut des plus chrétiennes, & qui arriva par une rétention d'urine en 1718, il avoua sincèrement à un saint prêtre qui le confessait, qu'il était de la maison de Fouquet, qu'il avait eu des raisons pour porter la robe d'ermite, qu'il avait assez vécu & assez figuré dans ce monde pour le quitter sans regret. On peut donc dire, monsieur, que si cet homme singulier n'était pas le même Fouquet, surintendant des finances, on serait en droit de conclure que c'était du moins quelqu'un de ses parents, qui ayant été enveloppé dans sa disgrâce, se serait retiré dans une solitude des environs d'Alais pour y mener une vie privée & inconnue.

J'ai l'honneur d'être, &c.

C. Lap…m.