Genève, ce samedi 20 février 1773
M. de Voltaire est assez malade, et je commence à craindre pour lui.
Il y a quinze jours qu’il se leva la nuit par un très grand froid, sans bas et sans culotte pour allumer son feu et travailler. Il gagna un coup de froid qui se jeta sur sa vessie, de là une rétention d’urine. Il se traita à sa mode pendant quatre jours, et, lorsqu’on envoya chercher Cabanis, il avait une fièvre considérable, une strangurie inflammatoire; en un mot, il était fort mal. Cabanis le mit dans le bain pendant quatre heures, le soigna, les urines revinrent, il a été mieux. Soit pour se distraire, soit qu’il ait quelque chose de pressé à finir, il s’est mis à travailler plus que jamais. Ses jambes ont commencé à enfler, il a eu quelque indigestion, il ne dort plus, et aujourd’hui il a la fièvre. Je viens de voir un billet où il peint lui même son état en riant, mais de manière à laisser voir qu’il en est affecté. Dans le premier moment, comme il était impossible aux médecins et chirurgiens de suivre sa maladie, je lui offris de venir loger chez moi; il le refusa, mais on doit le presser encore aujourd’hui. Si cet accident a des suites, il aura été la victime de ses fausses idées en médecine. Il s’est purgé de son ordonnance pendant le fort de son mal avec des lavements de savon; depuis, il a fait sûrement en cachette beaucoup de remèdes, il mange beaucoup le soir pour dormir, enfin il se traite à sa tête parce qu’il n’a pas encore peur…. Je ne me soucie pas que ces détails courent comme venant de moi, j’ai voulu vous dire ce qui en est de la maladie du Patron parce que sûrement on va en parler. Ce qu’il y aura de plus embarrassant sera de l’empêcher de travailler au delà de ses forces. Il a l’air de dire à la mort: ‘Attends cette page….’ mais ce n’est pas le moyen de l’éloigner….