1751-08-14, de Charles Jean François Hénault à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous avés raison, mon cher confrère, et le Roi de Suède n'avoit que 8000 hommes à la bataille de Narva ou Nerva.
Aparemment que le prote, nouvelliste subalterne, avoit crû la chose impossible, et de son autorité avoit changé mon chiffre, car je n'ignorois pas ce fait: le tort réel que j'ai eu a été de ne m'être pas aperçu de cette négligence, parcequ'aparemment il n'y a pas eu occasion de recourir à ce fait.

Par raport à m. Fouquet, je ne comprens pas ce qui a fait naistre vostre scrupule. Il est mort en prison en 1680. Moreri le dit, Reboulet, La Hode, le père d'Aurigni. Je ne trouve rien de cela dans Gourville, du moins je viens de le parcourir et il me semble qu'il ne parle que des circomstances de la disgrâce de m. Fouquet. Le p. d'Aurigni est celui de tous qui a le plus ma confiance, quoiqu'il se trompe quelquefois. Il faudra voir ce qu'en sait m. le mal de Belisle, lorsqu'il sera de retour ici de Metz: mais ce ne seroit pas la prémière fois qu'une famille se seroit trompée sur des événemens qui devroient l'intéresser: ainsi Made de Vaux depuis Duchesse de Sulli ne peut jusqu'ici que combattre dans mon esprit tant d'autorités réünies.

Je viens à la conversation de milord Stairs. Le père Berthier a dit en dernier lieu que c'étoit un fait connu de tout le monde: oui, depuis que je l'ai écrit, car ce fait n'étoit nulle part, et je ne l'ai sçû que par des contemporains qui ne pouvoient l'ignorer: mais je ne vois pas pourquoi je mettrois un correctif à cet article. Jamais Louis XIV n'a parlé plus dignement, et permettés moi de vous dire que cette réponse aux très justes remontrances du comte de Stairs, ainsi que vous les qualifiés, n'est point du tout étonnante. C'est bien ici le cas de la maxime, ce qui est de rigueur ne s'étend point: il n'est question dans l'article avec l'Angleterre que du port de Dunkerque, et il étoit très permis au Roi de faire partout ailleurs ce qu'il jugeoit àpropos; il n'est pas vrai qu'en conséquence de cette conversation les ouvrages de Mardic ayent cessé, puisque cette conversation précède de peu la mort du Roi, et l'on sait que les raports d'intérests entre le Régent et le Roi George changèrent la politique au point, que l'Espagne devint plus étrangère, en quelque façon, à la France, que l'Angleterre même, et que les idées de la triple et de la quadruple alliance firent abandonner ce que la sage et juste politique de Louis XIV avoit ordonné et commencé. Ainsi, monsieur, n'accusons point la mémoire de ce grand Roi de ce qui doit au contraire nous la rendre plus chère, et bon françois comme vous êtes, intéressé plus que personne à la gloire d'une nation à qui vous devés la vostre, aidés nous, si nous en avions besoin, à nous faire rendre justice à cet égard par toutte l'Europe. Il faut mettre cette imputation de l'Angleterre au rang des soupçons que le Roi Guillaume voulut répandre et qui firent la base de la grande alliance après avoir fait celle de la ligue d'Ausbourg. C'étoit cette monarchie universelle à laquelle ils disoient qu'aspiroit Louis 14 tandis que Léopold enchaisnoit en effet l'Allemagne, par ce que Féderic ne régnoit pas encore.

En voilà assés sur cet article. Je reviens à celui de vostre lettre qui m'intéresse le plus, où vous nous ostés l'espérance de vous revoir sitost. Hélas! quand nous dirés vous ce que Santeuil a mis dans la bouche de m. Arnaud, cor nunquam avulsum neque amatis sedibus absens? Vous ne rendés pas justice à m. Dargenson qui vous l'a toujours rendüe; mais pourquoi nous demander des sentimens qui ne peuvent finir que par des regrets! Adieu mon cher confrère, je relisois il y a trois jours Brutus pour la centième fois. Ouvrage œre perennius. Je vous embrasse de tout mon coeur.

H.