à Ferney 21 mars 1768
Satis est, domine, satis est.
Vous me donnez, monsieur, plus de vin de Champagne que jamais le prince de Condé n'en donna à Santeuil; et cet ivrogne disait encore, Amplius, domine, amplius; mais moi qui suis moins bon poète que Santeuil et qui bois beaucoup moins de vin, je vous assure, monsieur, que vous m'en donnez beaucoup trop et que je ne sais comment m'y prendre ni pour vous remercier ni pour le boire. Je ne tiens plus de maison. Nous allons peut-être made Denis & moi vendre Ferney. La fin de ma vie sera retirée, et probablement assez triste avec une santé déplorable. La nature m'a fait présent de soixante et quatorze ans & les maladies de quatre-vingt-dix.
Jouissez, vous & madame votre femme, de votre brillante jeunesse. Buvez, s'il se peut, plus de vin de Champagne que vous ne m'en donnez. Je me flatte que vous voyez quelquefois m. Dalembert. Il a eu avec moi des procédés charmants qui m'ont pénétré l'âme. O que j'aime qu'un philosophe soit sensible! Pour moi je suis plus sensible que philosophe et je le suis passionnément à vos bontés, à votre mérite.
Je présente mes respects au couple heureux qui mérite tant de l'être.