à Ferney 30e janv: 1768
Mon très cher confrère, je vous fais mon compliment sur tous les succès de vôtre académie, et j'en fais à Mr Legoût sur ses magnificences.
Vous me parlez de Mr Le Président De Brosses. Voiez, Monsieur, si vous voulez lui faire lire ce que je vais vous représenter.
1. Il avait affermé sa terre de Tournay à un ivrogne, fils d'un sindic De Genêve, lequel ivrogne s'était engagé à lui en donner trois mille livres par an sans la connaître et sans pouvoir le paier. Ce pauvre diable est mort insolvable. Ce polisson en aurait donné six mille francs aussi bien que trois mille. Le fait est que quand j'ai voulu l'affermer je n'en ai jamais pu trouver que douze cent livres, avec un char de foin, trois chars de paille et un tonneau de vin.
2. Mr De Brosse m'a vendu à vie cette terre qui ne me produit pas seize cent livres de rente, pour un capital de quarante sept mille Livres.
3. Dans ce capital de 47000lt il a compté pour cinq cent Livres de rente un petit bois dont lui même avait fait couper la plus grande partie, et dans lequel je n'ai pas seulement pris une bûche pour me chaufer. Ce bois est vieux, entièrement dévasté par lui même qui avait vendu ce qu'il y avait de passable, et par les troupes qui ont pillé le reste.
4. Dans les 47000lt que cette malheureuse acquisition m'a coûté, il y avait douze mille livres en réparations, j'en ai fait pour plus de vingt mille livres.
5. Les choses sont tellement changées à Genêve que jamais assurément aucun genevois n'achêtera cette terre.
6. S'il veut m'en faire un prix raisonnable je l'achêterai pour ma nièce afin de la joindre à Ferney qui est une terre beaucoup plus seigneuriale et qui n'est point un démembrement d'une autre terre comme l'est Tournay.
Tout celà n'est pas trop académique, mais si Mr De Brosse ne veut pas s'accommoder avec moi je l'avertis que je vais m'arranger pour vivre autant que Fontenelle, il doit trembler que je ne lui tienne parole.
Adieu, mon très cher confrère, je vous embrasse très tendrement sans aucune cérémonie.
V.