1765-06-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Mon cher philosophe je suis plus indigné que vous parceque je sçai mieux que vous tout ce que vous valez.
Il y a injustice, ingratitude, ridicule, le tout au premier degré à refuser une modique pension, patrimoine d'académie, et à qui? à celuy qui a refusé cent mille livres d'apointements pour continuer à faire honneur à sa patrie. Je ne crois pas que vous soyez éconduit. Les hommes ont encor un petit reste de pudeur. Vous voiez qu'on ne donne point votre pension à d'autres. On vous fait donc seulement attendre. On veut peutêtre que vous fassiez quelque démarche. Je vous demande en grâce de me mander où vous en êtes. Ayez la bonté de donner votre lettre à mr de Villette; c'est un de nos plus aimables frères, ami éclairé de la bonne cause et sentant tout votre mérite. C'en serait trop mon cher philosophe si les sages avaient contre eux les prêtres et les ministres. Nous avons besoin des hommes d'état pour nous deffendre contre les hommes de dieu. Je ne vous dis pas cela en l'air, il y a du temps que j'ay de bonnes raisons de penser ainsi. Mandez moy je vous prie tout ce que vous avez sur le cœur, attendu que le mien est à vous. Recomandez moy aux prières de nos frères.

Ecr. l'inf.