27e janvier 1764
Les deux dernières Lettres de mon cher frère sont charmantes.
Elles me font voir combien les philosophes sont au dessus des autres hommes. Il me semble que vous voiez les choses comme il les faut voir. Je vous remercie bien de l'exploit du marquis de Crequi; voilà de tous les exploits qu'ont fait les Français depuis vingt ans, le meilleur assurément. Celà vaut mieux que tous les mandements que vous pouriez m'envoier. Christopheà sept-fonds aura l'air d'un martir, et j'en suis fâché; mais on se souviendra que, non septfonds, sed causa facit martirem.
Les mandements des autres Evêques ne feront pas, je crois, un grand éffet dans la nation, mais le rapel des commandants, le triomphe des parlements etca sont une énigme dont je ne puis, ou n'ose deviner le mot. C'est le combat des éléments dont les yeux profanes ne peuvent découvrir le principe.
Je demeure toujours persuadé avec vous que ce temps cy n'est pas propre à faire paraître le traitté sur la Tolérance. Je n'en suis point l'auteur mais je m'intéressais, comme vous savez, à cet ouvrage, uniquement par principe d'humanité. Ce même principe me fait désirer que l'ouvrage ne paraisse point; c'est un mets qu'il ne faut présenter que quand on aura faim. Les Français ont actuellement l'estomac surchargé de mandements, de remontrances et d'opéras comiques. Il faut laisser passer leur indigestion.
Vous avez dû, mon cher frère, recevoir dans mon dernier paquet, un petit billet pour frère Thiriot. S'il ne peut me trouver le livre que je lui demande, il n'y a qu'à s'adresser à Briasson. Ce Briasson m'envoie enfin mes estampes; c'est à vous que j'en ai l'obligation. Ma santé est bien mauvaise. Je reprocherai bien à la nature de me faire mourir sans avoir vu mon cher frère. Recommandez moi aux prières des fidèles.
Ecr. L'inf.