1763-09-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Je me flatte, mon cher frère, que vous avez reçu de la cire du conseil d'Etat pour Mr Mariette, avec quelques pancartes concernant nos malheureuses dixmes.
Si Monsieur le Duc De Praslin est nôtre reporteur, c'est pour nous un très grand avantage; il connait les traittés sur lesquels nôtre droit est fondé, et le raporteur est toujours le maître de l'affaire.

Je conviens que ce vers,

En faisant des heureux un roy l'est à son tour,

figurerait très bien au bas de la statue de Louïs 15, mais je ne saurais me résoudre ni à me citer, ni à me piller. Si vous n'êtes pas contens des quatre vers que je vous ai envoyés, aimeriez vous mieux ces deux cy?

Il chérit ses sujets comme il est aimé d'eux,
C'est un père entouré de ses enfans heureux.

Ou bien

Heureux père entouré de ses enfans heureux.

Je ne suis point de l'avis de frère Thiriot qui veut de la prose. Nôtre prose française est l'antipode du stile lapidaire. Je ne haïrais pas les deux vers, et surtout le dernier, et surtout heureux père etca. Ils jurent un peu avec les remontrances des parlements, mais je crois que le Roy en serait assez content.

Si vous avez encor de ces ouvrages édifiants dont vous me parlez, je vous prie toujours d'en envoier à madlle Clairon; elle est intéressée plus que personne, à l'avilissement de ceux qui osent condamner son art. On jugera de la sorte d'esprit de made La Duchesse de Ch: par l'éffet que ces petits ouvrages feront sur elle. Si on peut trouver encor quelques éxemplaires, on ne manquera pas de les adresser à mon cher frère, il est fait pour rendre service au genre humain.

Je supose que personne n'est assez hardi pour débiter le caloier publiquement; c'est bien là le cas de piscis hic non omnium.

J'attends que le philosophe d'Alembert soit revenu de chez Denis de Siracuse pour lui écrire. J'embrasse tendrement mon cher frère Thiriot et tous les frères.

Ecr. L'inf.