22e janv: 1764
Vos Lettres, mon cher frère, sont une grande consolation pour le quinze vingt des alpes.
Il est certain que les inondations ont arrêté quelquefois les couriers; mais il n'est pas moins vrai que les premières personnes de l'état n'ont pu recevoir de tolérances par la poste. Vous savez qu'on me fait trop d'honneur en me soupçonnant d'être l'auteur de cet ouvrage. Il est au dessus de mes forces. Un pauvre feseur de contes n'en sçait pas assez pour citer tant de pères de l'église, avec du grec et de l'hébreu. Quel que soit l'auteur il parait qu'il n'a que de bonnes intentions. J'ai vu des Lettres des hommes les plus considérables de L'Europe, qui sont entièrement de l'avis de l'auteur, depuis le commencement jusqu'à la fin. Mais il y a des temps où il ne faut pas irriter les esprits qui ne sont que trop en fermentation. J'oserai conseiller à ceux qui s'intéressent à cet ouvrage, et qui veulent le faire débiter, d'attendre quelques semaines, et d'empêcher que la vente ne soit trop publique.
Si jamais mon cher frère peut parvenir à me faire avoir l'homélie de Christophe, je me croirai dans le chemin du salut. Voicy un petit billet pour frère Thiriot. Je crains bien qu'il ne tâte aussi de la banqueroute de ce notaire. C'était une chose inouïe autrefois qu'un notaire pût être banqueroutier. Mais depuis que Mazade, Porlier, conseillers au parlement, Bernard, maître des requêtes, ont fait de belles faillites, je ne suis plus étonné de rien. Ce maître Bernard, surintendant de la maison de la Reine, beaufrère du premier président de la première classe du parlement de France, et Mr son fils l'avocat général, ont emporté à Made Denis et à moi, environ quatre vingt mille Livres, et Mr le président de Molé a toujours été si occupé des remontrances sur les finances, qu'il a toujours oublié de me faire rendre justice de mr son beaufrère.
Est-il vrai que mr de Laverdy a déjà fait beaucoup de retranchements dans les dépenses publiques et dans les profits de quelques particuliers? Si celà est, il sauve quelques écus, mais il doit des millions.
Je me flatte qu'enfin l'épidémie des remontrances va cesser comme la môde des Pantins. Mais celle de l'opéra comique subsistera longtemps; c'est là le vrai génie de la nation.
J'espère que Briasson m'enverra enfin mes planches, et que nous aurons bientôt tout l'ouvrage, en dépit des ennemis de la raison. Je ne savais pas que ce malheureux Bougainville fût un de ces ennemis; je ne le connaissais que comme un homme médiocre, fils d'un sot notaire, qui a été encor de part dans une banqueroute qu'on m'a faitte.
Je ne sçais aucune nouvelle du tripot de la comédie, ni des autres tripots qui se croient plus essentiels. Je serai affligé si la pièce de frère Saurin éssuie un affront; c'est un des frères les plus persuadés; je souhaitte qu'il soit un des plus zèlés. Frère Helvétius est-il à Paris? Tâchez d'avoir quelque chose d'édifiant à me dire touchant le petit troupeau. Cultivez la vigne, mon cher frère et Ecr: L'inf: