1750-02-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Hyacinthe Des Issarts, marquis de Gallean.
Quels talents divers elle allie!
Comme elle charme tour à tour
Tantôt les dieux de ce séjour
Et tantôt ceux de l'Italie.
Rome, la première cité,
Et Paris, au moins la seconde,
On dit dans leur rivalité:
Son esprit comme sa beauté
Est de tous les pays du monde.
On dit qu'autrefois de Saba
Certaine reine un peu savante
Devers Salomon voyagea,
Et s'en retourna fort contente.
Mais s'il était un Salomon
Je sais ce que ferait le sage:
Il ferait à Dresde un voyage
Et viendrait y prendre leçon.
Mais retenu par les merveilles
Qui soumettent à leurs appas
Le cœur, les yeux et les oreilles,
Le sage ne reviendrait pas.

Je vous renvoie monsieur ce que je voudrais rapporter moi même sur le champ aux pieds de celle qui fait tant d'honneur à la France et à l'Italie. Je vous avoue que je suis bien étonné. Il n'y a pas une faute de français dans tout l'ouvrage, il n'y en a pas deux contre les règles sévères de notre versification, et le style est beaucoup plus clair que celui de bien de nos auteurs. Rien ne marque mieux un esprit juste et droit que de s'exprimer clairement. Les expressions ne sont confuses que quand les idées le sont. Cet ouvrage est le fruit d'une connaissance profonde et fine de la langue française, et de l'italienne, et d'un génie facile et heureux. Un tel mérite est bien rare dans les conditions ordinaires. Il est unique dans l'état où la personne respectable dont je tais le nom est née. Je lui dresse en secret des autels et je voudrais pouvoir lui porter mon encens dans la partie du ciel qu'elle habite.