A Monriond, près de Lausanne, 24 janvier 1756
Pour répondre à votre difficulté, mon cher monsieur, sur l'histoire de Jeanne d'Arc, je vous dirai que, quelques années après sa mort, il y eut une grosse créature fraîche, belle et hardie, accompagnée d'un moine qui alla s'établir à Toul et se dit la pucelle d'Orléans échappée au bûcher.
Le moine contait par quel miracle cette évasion s'était opérée. On leur fit un grand festin dans l'hôtel de ville et les registres en font foi. L'illusion alla si loin, qu'un homme de la maison des Armoises épousa cette aventurière, croyant épouser la pucelle d'Orléans, et c'est de ce mariage que descend le marquis des Armoises d'aujourd'hui. Voilà, monsieur, pourquoi on a prétendu en Lorraine que la Sorbonne et les Anglais n'avaient point consommé leur crime, et que la pucelle d'Orléans, pucelle ou non, n'avait point été brûlée. Cette aventure n'est point extraordinaire dans un temps où il n'y avait point de communication d'une province à une autre, et où l'on faisait son testament quand on entreprenait le voyage de Nancy à Paris.
Je reçois dans le moment votre lettre et celle de cet autre aventurier qui va chercher de nouveaux malheurs chez les Vandales. Sa conduite paraît d'un fou, et son billet est d'un Gascon; mais ce n'est pas sa folie, c'est son malheur qu'il faut soulager. Je vous remercie de tout mon cœur des dix écus que vous avez eu la bonté de lui donner de ma part. Vous avez poussé trop loin la générosité en l'aidant aussi vous même de votre bourse. Mais enfin c'est votre métier de faire de bonnes actions. Comme vous ne me mandez point par quelle voie je dois vous rembourser les dix écus, permettez que je vous en adresse le billet inclus pour m. Panchaud.
Etes vous informé que le 21 décembre il y a eu un nouveau tremblement de terre à Lisbonne qui a fait périr soixante et dix-huit personnes? On compte cela pour rien. Les grands événements font tort aux petits. Les Français préparent une descente en Angleterre. Qu'allait il faire dans cette galère ? Quel optimisme que tout cela! Heureux les gens ignorés qui vivent chez eux en paix! plus heureux ceux qui vivent avec vous; je Vous embrasse de tout mon cœur. Je vous remercie. Je vous supplie de présenter mes respects à m. le b. de Freudenrick. Tuus semper.
V.