Ferney le 12e mai 1776
Je vous renvoie, mon cher philosophe, la lettre de votre grand vicaire.
J'y joins un imprimé que vous serez peut-être bien aise de garder. J'en ai reçu un exemplaire de la part de l'avocat; cette pièce me paraît ce qu'on pouvait faire de mieux en faveur de la loi naturelle contre la loi arbitraire du despotisme. Il me paraît que les choses sont bien changées depuis l'horrible aventure des Calas. L'excès du fanatisme a servi enfin à faire triompher la raison; on aura beau appeler d'un jugement si juste, les hommes vertueux et instruits qui composent le conseil casseraient plutôt les lois barbares qui subsistent encore. Je suis bien étonné qu'un homme qui paraît plein d'esprit et de goût ait pu se tromper à ces misérables lettres imputées au bon pape Ganganelli; chaque ligne en décèle le faussaire; on sait assez que c'est un nommé Carraccioli, né Français, qui a pris un nom italien. C'est lui qui avait fait il y a quelques années l'histoire de madame de Pompadour. Il vit depuis longtemps de ces mensonges littéraires. Ces sottises trompent quelque temps les étrangers et les provinciaux; mais elles tombent bientôt dans l'éternel oubli qu'elles méritent. Je ne suis point du tout de l'avis de votre vicaire général quelque respect que j'aie pour son esprit et pour sa science. On ne veut point du tout détruire ce que vous savez, ce qui est fondé sur beaucoup d'argent et sur beaucoup d'honneurs est fondé sur le roc. On prétend seulement adoucir l'esprit de ceux qui jouissent de ces honneurs et de cet argent. On a commencé ce grand ouvrage et on espère qu'il s'achèvera de lui même.
Je vous embrasse tendrement, mon cher philosophe.
V.