1755-11-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange je prends la liberté de vous adressez une lettreà cachet volant pour l'académie française, et pour mr son secrétaire dont j'ignore le nom.
J'envoie ma lettre sous l'enveloppe de Mr Dupin, secrétaire de Mr le comte d'Argenson. Je me suis déjà servi de cette voye pour vous faire tenir deux exemplaires corrigez de l'orphelin de la Chine et je me flatte que vous les avez reçus. La lettre pour l'académie, et celle au secrétaire sont à cachet volant dans la même enveloppe. Pardonnez encor mon cher et respectable ami à cette importunité. La démarche que je fais est nécessaire, et il faut qu'elle soit publique; elle est mesurée; elle est décente; elle est bien consultée, bien aprouvée, et j'ose croire que vous ne la condamnerez pas. C'est un très grand malheur que la publicité de ce manuscrit qui inonde L'Europe sous le nom de la pucelle d'Orleans. Un désaveu modeste est le seul palliatif que je puisse appliquer à un mal sans remède. Je vous supplie donc de vouloir bien faire rendre au secrétaire de L'académie le paquet que Monsieur Dupin vous fera tenir, et qui part le même jour que cette lettre.

Cette mauditte Jeanne d'Arc a fait grand tort à notre orphelin. Il vaudrait bien mieux sans elle, mais vous pouvez compter que ma vie est empoisonnée, et mon âme accablée depuis six mois. Je suis si honteux qu'à mon âge on réveille ces plaisanteries indécentes, que mes montagnes ne me paraissent pas avoir assez de cavernes pour me cacher. Aidez moy mon cher ange, et je vous promets encor une tragédie, quand j'aurai de la santé, et de la liberté d'esprit. En attendant laissez moy pleurer sur Jeanne qui cependant fait rire baucoup d'honnêtes gens. Comment va le pied de madame d'Argental, et pourquoy a t'elle mal au pied? Le Kain m'a mandé que notre orphelin n'allait pas mal. Vous êtes le père de l'orphelin. Je voudrais bien [lui] donner un frère, mais seulement pour vous plaire. Madame Denis vous fait les plus tendres compliments. Je baise les ailes de tous les anges.

V.