30 juillet [1755]
Mon très divin ange, 1. celuy qui a écrit les animaux sauvages est un animal.
Il doit y avoir assassins sauvages.
2. je crois avoir prévenu vos ordres dans le quatrième acte. Vous devez avoir reçu mes chifons.
3. je vous demande avec la plus vive instance qu'on ne retranche rien au couplet de melle Clairon au 3., qui commence par ces mots, eh bien mon fils l'emporte. Madame Denis qui joue Idamé sur notre petit téâtre serait bien fâchée que cette tirade fût plus courte.
4e mr de Paulmi qui est un peu du métier et monsieur l'intendant de Dijon qui a bien de l'esprit et du goust trouvent que la pièce finit par un beau mot vos vertus. Ils disent que tout serait froid après ce mot, c'est le sentiment de me Denis, et quand ils seraient tous contre moy, je ne cèderais pas. Il m'est impossible de finir plus heureusement. Le Kain aura assez d'esprit pour ne pas dire ce mot comme un compliment, il le dira après un temps, il le dira avec un entousiasme d'attendrissement, et il fera cent fois plus d'effet qu'avec une péroraison inutile.
Mon cher ange il est bien important que mes magots soient montrez à Fontainebleau. Il en court d'autres qui sont bien vilains. Votre Grasset dont vous aviez eu la bonté de me parler est venu ces jours cy à Geneve, il m'a aporté une feuille manuscritte de la pucelle d'Orleans qu'on m'attribue et il m'a offert de me vendre le manuscrit pour cinquante louis après m'avoir dit qu'il en connaissait six autres copies. J'a[y envoyé] sur le champ sa feuille au résident de Fr[ance.] Le conseil s'est assemblé. On a mis en prison mon Grasset, et on vient de le chasser de la ville. Il se vante de la protection de mr Berrier et il m'en a montré des lettres. Je vous ay déjà dit un petit mot de cette avanture dans une lettre que mon secrétaire doit vous aporter.
Je compte avoir l'honneur d'envoyer dans quelques jours l'orphelin de la Chine à made de Pompadour. Je vous prie que ce soit là son titre. C'est sous ce nom qu'il y a déjà une tragédie chinoise. Le public y sera tout acoutumé. Mon cher ange je ne m'acoutume guères à vivre loin de vous. Je me crois à la Chine, adieu homme adorable.
V
Il faut vous dire que les copistes q[ui sont ici] n'écrivent pas trop bien. Mon [secrétaire] Colini écrit très lisiblement. Son écritu[re est] agréable. Il connaît la pièce. Il doit être las de l'avoir copiée mais si vous voulez avoir la bonté de la luy faire copier chez vous, il prendra volontiers cette peine quoy qu'il soit fort occupé auprès d'une jolie italienne avec la quelle il fait le voiage de Paris. Alors nous enverrons cette copie bien musquée à madame de Pompadour, avec de la jolie non pareille, et j'auray l'honneur de luy écrire un petit mot dans le temps que vous choisirez pour luy envoier la pièce. Votre amitié ne se rebutte point de touttes les peines que je lui donne et de touttes les libertez que je prends. Elle est constante et courageuse. Mille tendres respects à tous les anges.
V.