1760-05-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bernard Joseph Saurin.

Je vous remercie de tout mon cœur monsieur.
J'aime baucoup Spartacus. Voylà mon homme. Il aime la liberté, celuy là. Je ne trouve point du tout Crassus petit. Il me semble qu'on n'est point avili quand on dit toujours ce qu'on doit dire. J'aime fort que Noricus tourne ses armes contre Spartacus pour se vanger d'un affront; cela vaut mieux que la lâcheté de Maxime qui accuse son ami Cinna par ce qu'il est amoureux d'Emilie. Cet emportement de Spartacus et le pardon qu'il demande noblement, sont à l'anglaise. Cela est bien de mon goust. Je vous dis ce que je pense. Je vous donne mon sentiment pour mien, et non pour bon. Peutêtre le parterre de Paris aura désiré un peu plus d'intérest.

Il y a quelques vers diuruscules. Je ne hais pas qu'un Spartacus soit quelquefois un peu raboteux. Je suis las des amoureux élégants. Ma caballe veut donner malgré moy une pièce toutte confite en tendresse. Il y a une espèce d'amoureux qui me parait un grand benêt. Cela a un faux air de Bajazet. Cela est bien médiocre. J'en ay averti, ils veulent la jouer, je mets le tout sur leur conscience.

Je vous avertis que je n'aime point du tout votre épitre à M. Helvétius. Quand je vous dis que je ne l'aime point, c'est que je ne connais personne qui l'aime. Tout est dit. Non, tout n'est pas dit, et vous auriez dû dire adroitement bien des choses.

J'ignore si on a joué la farce contre les philosofes. On ne sait comment s'y prendre pour détruire cette pauvre raison. Maitre Joli de Fleuri braille contre elle en parlement, Tamponet en Sorbonne, Chaumeix dans les rues. On la joue à la comédie. Luy donnera t'on bientôt de la ciguë? Vous êtes plus fous que les Athéniens. Jansénistes, molinistes, parlement, caffez, bordels, tout se déchaîne contre les philosophes, et les pauvres diables sont désunis, dispersez, timides. En Angleterre ils sont unis et ils subjuguent.

Je viens de recevoir le discours de Lefranc, et les Quand. Il me prend envie de les avoir faits. Ce discours est bien indécent, bien révoltant, il met en colère. Je m'applaudis tous les jours d'être loin de ces pauvretez. Je méprise les hippocrites et je hais les persécuteurs. Je brave les uns et les autres.

C'est ce coquin de Fréron qui a empéché Lambert de mettre dans le siècle de Louis 14 l'article concernant M. votre père. Il ne voulait pas que Roussau eût tort. La preuve que Roussau était un pervers c'est qu'il fit un pélerinage à notre dame de Hall. Je ne connais point de preuve plus complette. Tout cela ne contribue pas à faire aimer les hommes. Il en vient pourtant chez moy baucoup, et quelques uns me remercient d'avoir osé être libre, et écrire librement. Pour le peu de temps qu'on a à vivre que gagne t'on à être esclave? Je voudrais vous voir vous et votre ami.

Faites moy le plaisir de me mander le succez de la pièce contre les philosofes et le nom de cet Aristofane.