1762-06-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Mes divins anges, Jean Jaques est un fou à lier qui a manqué à tous ses amis, et qui n'avait pas encore manqué à madame de Luxembourg.
S'il s'était contenté d'attaquer l'infâme, il aurait trouvé partout des défenseurs, car l'infâme est bien décriée. Il a trouvé le secret d'offenser le gouvernement de la bourgade de Geneve en se tuant de l'exalter. On a brûlé ses rêveries dans la bourgade et on l'a décrété de prise de corps comme à Paris. Heureusement pour lui son petit corps est difficile à prendre. Il est dit on à Amsterdam. Je suis fâché de tout cela. Eh que deviendra la philosophie? Mes divins anges, ces messieurs de la poste sont plus rétifs que leurs chevaux. On va donc jouer Socrate. Dieu veuille que Socrate ne soit pas aussi froid que sa ciguë!

Verra-t-on Henri quatre à la Comédie, ou se contentera-t-on de le voir sur le Pont neuf?

Le droit du seigneur est il oublié? C'est pourtant un beau droit, et il y avait une drôle de dédicace pour mr de Choiseuil.

J'ai accablé mes anges d'importunités et de mémoires pour des Suisses. Je leur en demande bien pardon.

Mais je les conjure plus que jamais de protéger, de toutes leurs ailes, la veuve du roué et la mère du pendu. Comptez que ces gens là sont innocents comme vous et moi. Je ne doute pas que la veuve infortunée ne soit venue vous implorer. Ah quel plaisir pour des âmes comme les vôtres, quand vous aurez retiré de l'abîme une famille entière! il ne vous en coûtera que de parler, vous serez comme les enchanteurs qui faisaient fuir les démons avec quatre mots.

Mes anges, c'est une étrange pièce que cette Zelmire et le parterre est un étrange parterre.

Est il vrai que mr le duc et mde la duchesse de Choiseuil étaient en grande loge au triomphe de Palissot? et que ce Palissot avait donné à Bellecour un discours à prononcer, quand on demanderait l'auteur, l'auteur, l'auteur?

Et que dites vous de cet autre Palissot de Fleuri qui crie tant contre la tolérance, et qui dit que Jean Jaques écrit contre l'existence de la religion chrétienne? Quel est le plus fin de Jean ou d'Omer?

Ah! quel siècle, quel siècle!