aux Délices 12 juillet [1762]
Le nom de Zoile me pique mon cher philosophe.
Il est très injuste. Je vais au delà des bornes quand je loue Corneille, et en deçà quand je le critique. Je crois d'ailleurs faire un ouvrage très utile, et que la comparaison des pièces de Shakespear et de Calderon avec Corneille sur des sujets à peu près semblables est un grand éloge de Pierre et un service à la littérature. Je ne me relâcherai en rien, parce que je suis sûr que j'ay raison. J'en suis sûr parceque j'ay cinquante ans d'expérience, parceque je me connais au téâtre, parceque je consulte toujours des gens qui s'y connaissent, et qui sont entièrement de mon avis. Esce à vous à vouloir des ménagements et à conseiller la faiblesse? que m'importe que le préjugé crie, quand j'ay pour moy la raison? je ne songe qu'au vrai et à l'utile. La Bérenice de Corneille est détestable. Je fais imprimer à côté, celle de Racine avec des remarques.
Attila est au dessous des pièces de Danchet. Je m'en tiens au hola de Boileau. Je le loue de l'avoir dit et je ne l'aprouve pas de l'avoir imprimé parceque cela n'en valait pas la peine. Mon cher philosophe prenez le party de la vérité, et point de faiblesse humaine.
Sans doute il faut se réjouir que Jean Jacques ait osé dire ce que tous les honnêtes gens pensent et ce qu'ils devraient dire tous les jours. Mais ce misérable n'en est que plus coupable d'avoir insulté ses amis et ses bienfaicteurs. Sa conduitte fait honte à la philosophie. Ce petit monstre n'écrivit contre vous et contre les spectacles que pour plaire aux prédicants de Geneve: et voylà ces prédicants qui obtiennent qu'on brûle son livre et qu'on décrète l'auteur de prise de corps. Vous m'avouerez que le magot s'est conduit comme un fou. Pour une trentaine de pages qui se trouvent dans un livre inlisible qui sera oublié dans un mois, je ne vois pas qu'il nous ait fait grand bien. Il s'est borné à dire que des hommes ont pu nous tromper; et les fripons répondent toujours que dieu a parlé par la bouche de ces hommes; et les sots croiront les fripons. Il me parait que le testament de Jean Mêlier fait un plus grand effet. Tous ceux qui le lisent, demeurent convaincus. Cet homme discute et prouve. Il parle au moment de la mort, au moment où les menteurs disent vray. Voylà le plus fort de tous les arguments. Jean Mélier doit convertir la terre. Pourquoy son évangile est il en si peu de mains? Que vous êtes tièdes à Paris! Vous laissez la lumière sous le boissau.
Je ne veux point croire que Palissot ait vingt mille livres de rente, mais il en a certainement trop. De pareils exemples découragent. Il m'a envoyé sa comédie. Elle est curieuse par la préface et par les notes.
Je suis actuellement occupé d'une tragédie plus importante, d'un pendu, d'un roué, d'une famille ruinée et dispersée, le tout pour la sainte relligion. Vous êtes sans doute instruit de l'horrible avanture des Calasà Toulouse. Je vous conjure de crier, et de faire crier. Voyez vous madame du Deffant, et madame de Luxembourg? pouvez vous les animer? Adieu mon grand philosophe, écrazés l'infâme.