23 may [1763] aux Délices
Je suis très en peine monsieur d'un gros paquet que je vous adressai il y a quelques semaines par mr Bouret.
Il m'est important de savoir si la poste use de son droit, qui n'est pas le droit des gens, d'ouvrir les paquets et de les garder. Celuy que je vous envoyais ne méritait d'être gardé ny par vous ny par la poste. Je vous demande en grâce de m'instruire si vous l'avez reçu.
Quelle sensation fait dans Paris la tragédie de Socrate? Le sujet n'est pas trop intéressant. S'il l'est devenue c'est une preuve que la philosophie fait de terribles progrès et que la partie saine du public déteste les Anitus, les Omer et les Cristophe. Dieu soit béni.
Que dit on de la lettre de Jean Jaques à Christophe? Savez vous que Palissot a fait imprimer ses œuvres? le sait on? Tout son recueil est contre ces pauvres philosophes, et cependant il pense comme eux. Cela fait saigner le cœur. Consolez moy en écrivant sur la poésie puis que vous ne voulez plus me consoler en la cultivant. Est il possible que ce coquin de Freron vous ait fait abandonner un art où vous auriez certainement eu de très grands succez? Votre poétique réussit baucoup, auprès des gens du métier et de ceux qui n'en sont pas. C'est la preuve du vrai mérite. Je suis toujours presqu'aveugle. J'ay peine à écrire, mais je lirai avec bien du plaisir quelques mots de vous.
Conservez vos sentiments pour votre ancien amy
V.