1763-06-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François Marmontel.

Tout ce que je peux vous dire mon cher ami c'est que le droit des gens s'accomode peu de l'infidélité de la poste.
On saisit un livre, passe encor, mais saisir la lettre qui l'accompagne! se rendre maitre du secret des particuliers, comme si nous étions dans une guerre civile! cela n'est pas dans l'esprit des loix. Voilà encor une fois ce que nous a valu Jean Jacques, avec sa lettre à Christophe. Ce polisson insolent gâte le métier. Il semble qu'on ne cherche qu'à rendre la philosophie ridicule.

Je n'ay laissé imprimer Olimpie qu'en faveur d'une petite note sur les grands prêtres, qu'on aura sans doute retranchée à Paris. Je voudrais vous faire parvenir deux exemplaires d'un extrait de Jean Melier. Cet ouvrage m'a toujours frappé. Il est nécessaire qu'il soit connu, et vous pouriez le mettre en bonnes mains. Il faut servir la raison autant qu'on le peut. C'est notre reine et elle a encor bien des ennemis à Paris. Elle s'est formée beaucoup de sujets dans le pays où je suis parce qu'on y a plus le temps de penser. Je tâcherai de vous envoier Jean Melier par une voye bien sûre.

Mango Capac est un étrange nom pour un héros de tragédie. Mahomet est plus sonore.

C'est pure malice à vous de ne rien faire pour le téâtre. On ne peut en parler mieux que vous faites dans votre excellent livre de la poétique. Je vous dis que vous ferez des tragédies dignes de votre poétique quand il vous plaira. Je vous parlais fort au long de votre poétique dans ma lettre tombée entre les mains des ennemis. Je vous remerciais surtout d'avoir rendu justice à Quinaut dont on n'a pas assez connu le mérite.

Je hais Roussau, je parle du poète, ce malheureux a fini par faire de mauvais vers contre la philosophie.

Adieu, vous ne tomberez jamais dans ce péché infâme et je vous aimera toujours.