1776-05-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

Vous allez être étonné en jetant les yeux sur la petit brochure que j'envoie à votre majesté: devineriez vous qu'elle est de m. le landgrave de Hesse?
Son génie s'est déployé depuis qu'il est devenu votre neveu, et qu'il a lu vos ouvrages. Je ne sais pas positivement s'il avoue ce petit livre, mais je sais certainement qu'il est de lui; c'est un tableau qu'on reconnaîtra aisément pour être d'un peintre de votre école. Vous avez fait naître un nouveau siècle, vous avez formé des hommes et des princes. Dans combien de genres votre nom n'étonnera-t-il pas la postérité!

Nous avons grand besoin que votre majesté philosophique règne longtemps; nous avions chez les Velches deux ministres philosophes, les voilà tous deux à la fois exclus du ministère; et qui sait si les scènes des la Barre et des d'Etallonde ne se renouvelleront pas dans notre malheureux pays? La raison commence à se faire un parti si nombreux, que ses ennemis se mettent sous les armes, et on sait combien ces armes sont dangereuses. Il faudra que cette malheureuse raison vienne se réfugier dans vos états avec ses disciples, comme les protestants vinrent chercher un asile chez le roi votre grand-père. Depuis que je suis au monde, je n'ai vu cette raison que persécutée; je la laisserai sans doute dans le même état; mais je me consolerai en me flattant qu'elle a un appui inébranlable dans le héros qui a dit:

Mais, quoique admirateur d'Alexandre et d'Alcide,
J'eusse aimé mieux pourtant les vertus d'Aristide.

Je me mets aux pieds de l'Alcide et de l'Aristide de nos jours.