1774-01-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

Me voilà bien loin de mon compte.
Tous les gens de Lettres m'avaient fait compliment sur la manière assez neuve dont j'avais fait l'éloge des héros en les donnant au diable. On trouvait que ce tout n'était pas sans quelque finesse. Roussau avait dit,

Mais à la place de Socrate
Le fameux vainqueur de l'Euphrate
Sera le dernier des mortels.

Cette idée paraissait aussi fausse que grossière à tous les connaisseurs. En effet il y a une extravagance plus que cinique à dire au capitaine général de la Grèce, au vainqueur du maitre de l'Asie, au vangeur de l'assassinat de Darius, au héros qui bâtit plus de villes que Gengis kan n'en détruisit, à celui qui changea la route du commerce du monde, tu es le dernier des mortels.

Mais de plaindre les hommes qui soufrent du fléau de la guerre, et d'admirer en même temps les maîtres de ce grand art, cruel, mais nécessaire, et de louer les Cirus, les Alexandres, les Gustaves, etc., etc. en feignant de se fâcher contre eux, c'est ce qui a plu à tout le monde excepté à la dame dont j'ay eu l'honneur de vous parler.

Si j'avais eu un congé à demander à Alexandre pour quelque officier grec condamné par l'aréopage, je l'aurais demandé en lui envoiant la tactique.

L'ancien parlement de Paris était beaucoup plus injuste que l'aréopage, et vous valez bien cet Alexandre, à qui Juvenal et Boileau ont dit tant d'injures.

Je me mets sire à vos pieds pour ce jeune Morival. Votre majesté ajoutera cette belle action à tant d'autres? Rien n'est plus digne de vous que de le protéger.

Le vieillard de Fernei vous aura la plus grande obligation et il mourra content.

Agréez sire ma respectueuse et vive reconnaissance.