1er février 1773, à Ferney
Sire,
Je vous ai remercié de vôtre porcelaine; Le Roi mon maître n’en a pas de plus belle; aussi ne m’en a t-il point envoié.
Mais je vous remercie bien plus de ce que vous m’ôtez que de ce que vous me donnez. Vous me retranchez tout net neuf années dans vôtre dernière Lettre. Jamais nôtre controlleur général n’a fait de si grands retranchements. Vôtre Majesté a eu la bonté de me faire compliment sur mon âge de soixante et dix ans. Voilà comme on trompe toujours les rois. J’en ai soixante et dix neuf s’il vous plaît, et bientôt quatre-vingt. Ainsi je ne verrai point la destruction des Turcs que je souhaittais si passionnément, parce qu’ils enferment les femmes, et qu’ils ne cultivent point les beaux arts.
Vous ne voulez donc point remplacer Thiriot Vôtre historiographe des caffés? Il s’acquittait parfaittement de cette charge; il savait par cœur tous les bons et tous les mauvais vers qu’on fesait dans Paris; c’était un homme bien nécessaire à L’état.
Le nouvel abbé d’Oliva après avoir ri aux dépends de ces messieurs, malgré leur Liberum veto, s’entend merveilleusement avec l’église grecque pour mettre à fin le saint œuvre de la pacification des Sarmates. Il a couru ces jours cy un bruit dans Paris, qu’il y avait une révolution en Russie; mais je me flatte que ce sont des nouvelles de caffé; j’aime trop ma Catherine.
J’aurai l’honneur d’envoier incessamment à Vôtre majesté les loix de Minos. L’ouvrage serait meilleur si je n’avais que les soixante et dix ans que vous m’accordez.
Ce Morival dont j’ai eu l’honneur de vous parler est depuis sept ou huit ans à vôtre service; je ne sais pas le nom de son régiment, mais il est à Vesel.
Voilà toute vôtre auguste famille mariée. On dit Madame la Landgrave très belle. Monsieur le prince de Virtemberg est dans nôtre voisinage avec neuf enfans dont quelques uns seront un jour sous vos ordres à la tête de vos armées.
Conservez moi, sire, vos bontés qui font la consolation de ma vie, et avec lesquelles je descendrai au tombeau très allègrement.