1772-07-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

Permettez moi de dire à votre majesté que vous êtes comme un certain personnage de la Fontaine,

Droit au solide allait Bartholomée.

Ce solide accompagne merveilleusement la véritable gloire. Vous faites un royaume florissant et puissant de ce qui n’était, sous le roi votre grand-père, qu’un royaume de vanité: vous avez connu et saisi le vrai en tout; aussi êtes vous unique en tout genre. Ce que vous faites actuellement, vaut bien votre poème sur les confédérés. Il est plaisant de détruire les gens et de les chanter.

Je dois dire à votre majesté qu’un jeune homme de vingt-cinq ans, très bon officier, très instruit, ayant servi dès l’âge de douze ans, et ne voulant plus servir que vous, est parti de Paris sans en rien dire à personne, et vient vous demander la permission de se faire casser la tête sous vos ordres. Il est d’une très ancienne noblesse, véritable marquis, et non pas de ces marquis de robe ou marquis de hasard, qui prennent leurs titres dans une auberge, et se font appeler monseigneur par les postillons qu’ils ne payent point. Il s’appelle le marquis de Sainte-Aulaire, neveu d’un lieutenant général, l’un de nos plus aimables académiciens, lequel faisait de très jolis vers à près de cent ans, comme vous en ferez, à ce que je crois et à ce que j’espère. Je pense que mon jeune marquis est actuellement à Berlin, cherchant peut-être inutilement à se présenter à votre majesté; mais on dit qu’il en est digne, et que c’est un fort bon sujet.

Le vieux malade se met à vos pieds avec attachement, admiration, respect et syndérèse.