16 octb 1772
Sire, la médaille est belle, bien frappée, la légende noble et simple, mais surtout la carte que la Prusse jadis polonaise présente à son maître fait un très bel effet.
Je remercie bien fort votre majesté de ce bijou du nord. Il n’y en a pas àprésent de pareils dans le midy.
C’est assurément le vrai gâtau des rois, et la fève a été coupée en trois parts. Mais la paix ne s’est elle pas un peu trompée? J’entends dire de tous côtés que cette paix n’a pu venir àbout de réconcilier Catherine seconde et Moustapha, et que les hostilités ont recommencé depuis deux mois. On prétend que parmi ces Français si babillards il s’en trouve qui ne disent mot et qui n’en agissent pas moins sous terre.
On dit que les mêmes gens qui gardent Avignon au saint père ont un grand crédit dans le sérail de Constantinople. Si la chose est vraie, c’est une scène nouvelle qui va s’ouvrir. Mais il n’y en a point de plus belle que les pièces qu’on joue en Prusse et en Suede. Le Roy votre neveu paraît digne de son oncle.
Je remercie votre majesté de remettre dans la règle le célèbre couvent d’Oliva, car le bruit cour que vous êtes prieur de cette bonne abaye et que dans peu tous les novices de ce couvent feront l’exercice à la prussienne. Je ne m’attendais il y a deux ans à rien de tout ce que je vois. C’est assurément une chose unique que le même homme se soit moqué si légèrement des palatins pendant six chants entiers et en ait eu un nouvau Royaume pour sa peine. Le Roy David fesait des vers contre ses ennemis mais ses vers n’étaient pas si plaisants que les vôtres. Jamais on n’a fait un poème ni pris un royaume avec tant de facilité. Vous voilà sire le fondateur d’une très grande puissance. Vous tenez un des bras de la ballance de l’Europe, et la Russie devient un nouvau monde. Comme tout est changé! et que je me sais bon gré d’avoir vécu pour tous ces grands événements!
Dieu mercy je prédis et je dis il y a plus de trente ans que vous feriez de très grandes choses, mais je n’avais pas poussé mes prédictions aussi loin que vous avez porté votre très solide gloire. Votre destin a toujours été d’étonner la terre. Je ne sçais pas quand vous vous arrèterés, mais je sais que l’aigle de Prusse va bien loin.
Je supplie cette aigle de daigner jetter sur moy chétif du haut des airs où elle plane, un de ces coups d’œil qui raniment le génie éteint. Je trouve si votre médaille est ressemblante que la vie est dans vos yeux et sur votre visage et que vous avez comme de raison, la santé d’un héros.
Je suis à vos pieds comme il y a trente ans, mais bien affaibli. Je regarderai le regno redintegrato quand je voudrai reprendre des forces.
votre vieux idolâtre