11e Mars 1771, à Ferney
Il n’y a rien à répliquer, Monseigneur, au mémoire dont vous m’avez favorisé, si ce n’est ce que disait Mr le Grand à Louis 14 sur les rangs que le Roy venait de régler, Sire le charbonnier est maitre chez lui.
Le Roy peut arranger les choses comme il lui plait à un bal, à son souper, sa chapelle, mais pour la constitution de L’état, elle demande un peu plus d’attention et de connaissances.
Il est prouvé que la pairie est la vraie noblesse, et la vraie jurisdiction suprème du Royaume, c’est l’ancien baronage, c’est le véritable parlement aussi ancien que la monarchie.
Guillaume le conquérant, premier vassal du Roy de France, porta les loix fondamentales de la France dans L’Angleterre où elles se sont fortifiées, tandis qu’elles se sont affaiblies dans le lieu de leur origine.
Celà est si vrai que la pairie a été toujours composée en Angleterre de Ducs, de marquis au nombre de deux, de comtes, de vicomtes, et de barons. Les Duc y ont toujours eu, et prennent encor le titre de très haut et de très puissant Prince et on les appelle encor votre grâce, qualité qu’on donne au Roy.
Voilà pourquoi François de Montmorenci, pair et Maréchal de France (cité dans le mémoire, page 11), fut inscrit dans le rôle des chevaliers de la jarretierre en 1572 sous ce titre, his grace the most high and potent, sa grâce le très haut et puissant prince le Duc de Montmorenci.
La raison en est que dans ce tems les Ducs et pairs étaient tous en Angleterre de la famille Royale, comme ils l’avaient Eté en France. Les Anglais ont conservé leur ancienne prérogative, et c’est encor la raison pour laquelle les Ducs et pairs Anglais qui étaient dans l’armée du Roy Guillaume trois, ne voulurent jamais céder aux princes de L’empire. Les princes Etrangers n’ont aucun rang en Angleterre que par courtoisie, et les chevaliers de la jarretierre ne marchent que suivant L’ordre de leur réception indistinctement selon L’ancien usage de France. Puisque me voilà embarqué dans les profondeurs de la pairie, je vous dirai que la jurisdiction suprème en matière d’état a toujours continué d’être en A[n]gleterre la seule cour des pairs, et qu’elle est seule le parlement, comme elle l’était chez vous.
Le Roy de France peut encor assembler ses pairs où il veut, et juger la cause d’un pair où il veut, sans y appeller aucun homme de robe. Cela est incontestable. C’est pourquoi les difficultés que le parlement de Paris a faittes au Roy en dernier lieu m’ont toujours paru très mal fondées.
Votre jurisprudence ayant continuellement changé ainsi que tous vos usages, vous avez certainement besoin d’une réforme.
Un des plus grands abus était de se voir obligé d’aller plaider trop loin de chez soy. Cet abus a ruiné mille familles, et la justice n’en a pas été mieux rendue. Si on peut y remédier c’est un très grand service rendu à l’état, et qui mérite la reconnaissance de la nation.
Voilà mes petites idées, elles se soumettent entièrement aux vôtres, comme de raison; vous devez assurément en savoir plus que moi sur tout ce qui concerne votre très respectable pétaudière. J’en parle comme un moineau qui ne doit pas juger les aigles de son païs.
Je me mets dans le fonds de mon pot à moineaux sous la protection de l’aigle de Fontenoy, de Gênes et de Minorque.
Conservez vos bontés pour ce vieil aveugle, qui vous est dévoué avec un respect aussi tendre que s’il avait d’eux yeux.
PS: Si vous pouviez me gratifier des remontrances de la cour des aides je vous serais infiniment obligé. Mais de quoi s’avise la cour des aides? et que fera la cour des monnaies!
V.