1772-11-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Mon héros, je me doutais bien que Nonotte ne vous amuserait guères, mais ce Nonotte m'intéresse, et il faut que tout le monde vive.
Voicy quelque chose qui vous amusera d'avantage.

Vous avez sans doute dans vôtre bibliothèque les ouvrages de tous les rois, et nommément ceux du feu Roi Stanislas. Vous verrez dans la préface de son livre intitulé, La voix du citoyen, qu'il a prédit mot pour mot ce qui arrive aujourd'hui à sa Pologne. Je crois que le Roi de Prusse est celui qui gagne le plus au partage. Il m'a envoié un joli petit service de sa porcelaine qui est plus belle que celle de Saxe. Je le crois très bien dans ses affaires.

Mais que dites vous de L'Impératrice de Russie qui au bout de quatre ans de guerre augmente d'un cinquième les apointements de tous ses officiers, et qui achête un brillant gros comme un œuf? Minos ne portait pas de pareils diamants à son bonnet. On dit que dans sa succession on trouva des siflets qui m'étaient destinés de loin. Que celà ne décourage pas vos bontés. On a été hué quelquefois par le parterre de Paris, et approuvé de la bonne compagnie. D'ailleurs, c'est une chose fort agréable qu'une première représentation. On y voit les états généraux en mignature, des cabales, des gens qui crient, un parti qui accepte, un parti qui refuse, de la liberté, et beaucoup de critique. Chacun jouït du Liberum veto, et cette diette est aussi tumultueuse que celles des Polonais. Je ne crois pas qu'on doive s'en tenir aux délibérations d'une première séance; on ne juge bien des ouvrages de goût qu'à la longue, et même dans des choses plus graves vous verrez que le public n'a jamais bien jugé qu'avec le temps. Je sais que j'ai contre moi une terrible faction; mais je suis tout résigné, et pourvu que je vous plaise un peu je me tiens fort content. C'est toujours beaucoup qu'un jeune homme comme moi ait pu amuser mon héros une heure ou deux. Conservez moi vos bontés, Monseigneur, soiez bien sûr qu'elles me sont beaucoup plus chères que tous les aplaudissements qu'on pourait donner à Le Kain, à Mlle Vestris et à Brisard.

Agréez toujours mon tendre et profond respect.

Le vieux malade V.