à Ferney 26e 7bre 1766
Je suis obligé, Monsieur, de recourir à vôtre témoignage pour confondre une singulière imposture.
Un éditeur s'est avisé de recueillir quelques unes de mes Lettres qui ont couru dans Paris. Elles sont toutes falsifiées, et prèsque toutes les falsifications sont des outrages odieux faits aux personnes les plus considérables du royaume. Ce recueil est imprimé à Amsterdam sous le nom de Genêve. Il est connu dans toute l'Europe hors à Paris où il est justement prohibé.
Il y a dans ce recueil une Lettre que je vous écrivis en 1763 au sujet de la Reine Christine. Je vous prie de me dire si les paroles suivantes sont éffectivement dans l'original que vous pouvez avoir:
La réputation de son père était si grande qu'on aurait tenu compte à cette princesse de toutes les sottises attachées à son sexe, et même du mal qu'elle n'aurait pas osé faire à ses sujets. Il faut être né bien dépravé et bien stupide pour ne pas briller sur le trône, et pour ne point s'immortaliser par de bonnes actions, plus faciles pourtant à faire que les grandes et belles actions. Quoi qu'il en soit, ce livre est toujours un monument très précieux qui pourait servir d'éxemple à d'autres princes qui auraient la folle gloriole d'abdiquer.
Je ne crois pas m'être servi d'expressions si plattes et si ridicules. Prèsque tout le reste de la Lettre imprimée est très indignement défiguré. Je vous prie de m'envoier un certificat dans lequel vous fassiez éclater vôtre juste indignation contre le faussaire. On ne peut réprimer le brigandage de la librairie qu'en le dévoilant.
Je vous serai obligé de m'envoier les feuilles de la pièce que vous imprimez. Je souhaitte que cet ouvrage soit accueilli avec quelque indulgence, afin que l'auteur puisse joindre à la seconde édition quelques morceaux de littérature qu'il m'a confiés, et qui me paraissent très curieux. Je vous prie de compter pour jamais sur l'estime et l'amitié qui m'attachent à vous.
V.