19 7bre 1766
Tout ce qui est à Ferney, mon cher frère, doit vous être très obligé de la lettre pathétique et convaincante que vous nous avez envoyée.
Nous pensons tous qu'il n'y a d'autre parti à prendre après une pareille lettre que de demander pardon à celui qui l'a écrite. Mais j'avais proposé aux juges des Calas de s'immortaliser en demandant pardon aux Calas la bourse à la main; ils ne l'ont pas fait.
Je vous ai déjà parlé de la bonté de m. le duc de Choiseul, et de la noblesse de son âme; je vous ai dit avec quel zèle il daigne demander m. Chardon pour rapporteur des Sirven; il sera notre juge comme il l'a été des Calas. Soyez très sûr qu'il met sa gloire à être juste et bienfaisant.
Votre attestation, mon cher frère, celle de m. Marin, celle de m. Deodati me sont d'une nécessité absolue. M. le prince de Soubise a un bibliothécaire qui ramasse toutes les pièces curieuses imprimées en Hollande. Ce malheureux recueil de mes prétendues lettres sera sans doute dans sa bibliothèque s'il n'y est déjà. M. le prince de Soubise le verra et l'a peut-être vu. Un homme de cet état n'a pas le temps d'examiner, de confronter; il verra les justes éloges que je lui ai donnés, tournés en infâmes satires; il se sentira outragé, et le contre-coup en retombera infailliblement sur moi. Ce n'est point Blin de Saint Maure qui est l'éditeur de ce libelle, c'est certainement celui qui a fait imprimer mes lettres secrètes. Les trois lettres sur le gouvernement en général, imprimées au devant du recueil, sont d'un style dur, cynique, et plus insolent que vigoureux, affecté depuis peu par de petits imitateurs. Ce n'est point là le style de Blin de St Maure. On a accusé Robinet, je ne l'accuse ni ne l'accuserai; je me contenterai de réprimer la calomnie dans les journaux étrangers. Cette démarche est d'autant plus nécessaire que le livre est répandu partout hors à Paris. Il est heureux du moins de pouvoir détruire si aisément la calomnie.
Les protestants se plaignent beaucoup de notre ami m. de Beaumont qui réclame en sa faveur les lois rigoureuses sur les protestants, contre lesquelles il semble s'être élevé dans l'affaire des Calas. J'aurais voulu qu'il eût insisté davantage sur la lésion dont il se plaint justement, et qu'il eût fait sentir adroitement combien il en coûtait à son cœur d'invoquer des lois si cruelles. J'ai peur que son factum pour lui même ne nuise à son factum pour les Sirven, et ne refroidisse beaucoup; mais enfin tout mon désir est qu'il réussisse dans ces deux affaires, auxquelles je prends un égal intérêt.
Je ne sais comment vous êtes avec Thiriot, je ne sais où il demeure. Je crois qu'il passe sa vie comme moi à être malade et à faire des remèdes; cela le rend un peu inégal dans les devoirs de l'amitié, mais il faut user d'indulgence envers les faibles. Je vous prie de lui faire passer ce petit billet.
Vous aurez incessamment quelque chose; mais vous savez combien il est dangereux d'envoyer par les postes étrangères des brochures de Hollande. Nous recevons des livres de France, mais nous n'en envoyons pas. Tous les paquets qui contiennent des imprimés étrangers sont saisis et vous savez qu'on fait très bien, attendu l'extrême impertinence des presses bataves.
J'ai chez moi m. de la Borde qui met Pandore en musique. Je suis étonné de son talent. Nous nous attendions madame Denis et moi, à de la musique de cour et nous avons trouvé des morceaux dignes de Rameau. Tout cela n'empêche pas que je n'aie Belleval et Broutel extrêmement sur le cœur. Consolons nous mon cher frère, dans l'amour de la raison et de la vertu. Comptez que l'une et l'autre font de grands progrès. Saluez de ma part nos frères Barnabé, Thaddée, et Thimothée.