1er 8bre 1766
Je vous envoie, mon cher ami, cette lettre ouverte pour m. de Beaumont, que je vous supplie de lire.
Il s'est chargé de trois affaires fort équivoques qui feront grand tort à la cause des Sirven. Il y a un parti violent contre lui. On a surtout prévenu les deux Tronchin. On s'irrite de le voir invoquer une loi cruelle contre les protestants mêmes qu'il a défendus. On dit que sa femme étant née protestante devait réclamer cette loi moins qu'une autre. On prétend que l'acquéreur de la terre de Canon est de bonne foi, et que les terres en Normandie ne se vendent jamais plus que le denier vingt. On assure que le brevet obtenu par l'acquéreur le met à l'abri de toutes recherches, et que la même faveur qui lui a fait obtenir son brevet lui fera gagner sa cause.
Je vous confie mes alarmes. L'odieux qu'on jette sur cette affaire nuira beaucoup à celle des Sirven; je le vois évidemment, mais plus nous attendrons plus nous trouverons le public refroidi; et d'ailleurs les démarches que j'ai faites, exigent absolument que le mémoire soit imprimé sans délai; si m. de Beaumont est à la campagne, il n'a d'autre parti à prendre que de vous confier le mémoire que vous feriez imprimer par Merlin. Il se serait mieux vendu s'il avait paru avant l'affaire de m. de la Luzerne. C'est un malheur attaché au mérite; mais les Sirven en souffriront. N'importe, il faut aller en avant. La protection de messieurs les ducs de Choiseul et de Praslin nous soutiendra. Nous aurons la protection de m. le comte le St Florentin. Enfin nous sommes engagés et nous n'avous pas un moment à perdre.a
J'ai reçu enfin le certificat de m. Deodati. J'aurai celui de Lacombe par le premier ordinaire. Il est essentiel de confondre la calomnie, car en brisant une de ses fléches on brise toutes les autres. Il paraît tous les jours des livres qu'on ne manque pas de m'imputer. Il faudrait que je ressemblasse à Edras, et que je dictasse jour et nuit pour faire la 10e partie des écrits dont l'imposture me charge. On poursuit avec acharnement ma vieillesse, on empoisonne mes derniers jours. Je n'ai d'autre ressource que dans la vérité; il faut qu'elle paraisse du moins aux yeux des ministres; ils jugeront de toutes ces calomnies par celles de l'éditeur de mes prétendues lettres. C'est un service qu'il m'aura rendu et qui pourra servir de bouclier contre les traits dont on accable les pauvres philosophes.
a Est il bien vrai qu'on a mené à la Bastille deux hommes pris à Nancy qu'on dit s'être défendu longtemps contre les preneurs.a
On a annoncé le livre de Freret dans la Gazette d'Avignon; on y dit à la vérité que c'est un livre dangereux, mais qu'il y a beaucoup de modération et de profondeur.b
Adieu, mon cher ami, je vous embrasse aussi tendrement que je vous regrette.
Je vous demande en grâce de m'envoyer par la première poste le factum de m. de la Roque contre m. de Beaumont, car je veux absolument juger ce procès au tribunal de ma conscience.