1766-10-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher ami, j'ai trouvé dans une de vos lettres, reçue le 4 8bre, un paquet de Russie.
L'impératrice daigne m'écrire qu'elle établit la tolérance universelle dans tous ses états. Elle a la bonté de me communiquer la teneur de l'édit. Cet article écrit de sa main, porte ces propres mots: Que la tolérance est d'accord avec la religion et la politique. Apparemment que ce qui convient à la Russie n'est pas praticable dans d'autres états. Vous savez que nous ne nous piquons ni vous ni moi dans notre obscurité de raisonner sur les volontés des souverains; je vous mande seulement le fait tel qu'il est. Je crois vous avoir instruit que le sieur Deodati m'a écrit. J'attends aussi des certificats de plusieurs autres personnes, et quand je les aurai, je ferai un petit mémoire pour le passé, le présent et l'avenir. La justification est si claire que je n'aurai pas besoin de me mettre en colère, j'userai de la plus grande modération et tous les journaux pourront se charger de ce mémoire. Je crois seulement que nous serons obligés de supprimer quelque chose du commencement de votre déclaration qui pourrait effaroucher les ennemis des lettres.

Je me flatte, mon cher frère, que je recevrai bientôt le mémoire de feu m. de la Bourdonnaye avec tout ce que j'attends.

Je suis très curieux, je vous l'avoue, de lire la lettre de Jean Jaques à m. Hume. On dit que c'est un chef d'œuvre d'impertinence.

L'intérêt que vous prenez à mr et à mde de Beaumont ne vous a-t-il pas engagé à lire le factum de son adverse partie? Un seul mémoire ne met jamais au fait. Si le mémoire de m. de La Roque pouvait se trouver dans votre paquet, je serais bien content.

Vous n'avez rien reçu par m. de la Borde, mais l'aîné Calas doit arriver à Paris avant cette lettre; et m. de la Borde devait aller de Ferney en Anjou.

Oh qu'il serait doux de vivre ensemble, et de se rassembler cinq ou six sages, loin des méchants et loin des obstacles! Comme on est bridé et garotté de tous côtés!

Avez vous des nouvelles d'Elie? Ce pauvre Sirven se désespère. Je lui ai donné vingt fois des espérances qui l'ont trompé. Je suis la cause innocente de ses larmes; il fait pitié.

Adieu, mon cher frère. Vos lettres sont ma plus grande consolation.