[June/July 1746]
Monseigneur,
Travenol, ordinaire de l'académie Royale de Musique, a intérêt de détruire les diférens soupçons qu'on a jettés sur luy au sujet de l'enlèvement de ses papiers, et d'une pièce saisie chez un Colporteur.
Quoy qu'il se mesle d'écrire il n'est ni l'auteur, ni l'Editeur de celles qui regardent Mr de Voltaire. Mais il avoue qu'il en avoit un grand nombre. Travenol est auteur de plusieurs ouvrages de Musique et de quelques petits écrits que la Police de l'Etat ne sçauroit condamner. L'abbé Desfontaines, dontilétoitami, le pria dans la fin de novembre, de faire emporter en lieu sûr, plusieurs paquets d'Imprimés; Travenol, qui vit, que c'étoient des Satires, ne voulut pas les garder chez luy, et les mit à l'hôtel d'Isenghien. Il sçait, comme beaucoup d'autres personnes, que la pièce en prose et celle en vers acolées ensemble, sont de vieille date. Le Triomphe Poétique est depuis dix ans, dans tous les sotisiers de Paris. La pièce de prose luy avoit été lue par Mr l'abbé Desfontaines 1743, lors que le bruit couroit que Mr de Voltaire alloit entrer à l'académie. Y étant enfin entré, le tems est devenu favorable pour le débit; ainsi Travenol quelques jours aprés Pasques, donna à un Colporteur qui vint chez luy par hazard, l'éveil de vendre ces pièces, idée que le Colporteur saisit avidement. Comme depuis longtems il se vend publiquement des critiques contre le sr de Voltaire, le supliant a cru n'être pas répréhensible de se défaire de celles qui luy étoient tombées entre les mains. Au reste si c'est un crime, son père qui n'y a aucune part, doit il en être puni: un homme d'environ 80 ans, est il responsable des fautes que son fils peut commettre à quarante? Cependant ce vieillard irréprochable est arrêté sans que sa famille puisse sçavoir seulement où il est.